Laëtitia : portrait d’un fait divers et d’une héroïne

Laëtitia - Jean-Xavier de Lestrade Marie Colomb dans Laëtitia ©Jérôme PRÉBOIS / FTV / PCB FILMS & L' ÎLE CLAVEL

Diffusée sur France Télévisions, la série Laëtitia de Jean-Xavier de Lestrade est une des grandes réussites de l’année 2020. En six épisodes, collant au plus près de ses personnages, elle revient sur le meurtre de Laëtitia Perrais en 2011.

Pendant la nuit du 18 au 19 janvier 2011, Laëtitia Perrais, 18 ans, disparaît. Seul son scooter renversé sera retrouvé sur la route à une cinquantaine de mètres de chez elle. Très rapidement, un suspect est arrêté, Tony Meilhon, qui avait passé la soirée avec la jeune femme. Une dizaine de jours plus tard des morceaux du corps de Laëtitia seront retrouvés dans un étang où le suspect était habitué à pêcher. Il sera condamné pour meurtre en 2015.

Au-delà du fait divers

En 2016, paraît l’essai d’Ivan Jablonka, Laëtitia ou la fin des hommes, consacré au meurtre de Laëtitia Perrais. Dans ce livre, l’historien cristallise tout ce que contient ce fait divers, l’émotion de citoyens face aux avis de recherche de cette jeune femme de 18 ans, puis face au récit de sa mort violente, la récupération politique de l’affaire et la grève des magistrats qui s’en est suivie, et enfin la fascination qu’exerce habituellement le fait divers et l’enquête policière en cours.

Jean-Xavier de Lestrade (Jeux d’influence) adapte l’essai d’Ivan Jablonka en une mini-série de six épisodes. Fidèle au livre, la série Laëtitia aborde à la fois l’enquête policière et la vie de la victime, de sa plus jeune enfance aux dernières heures de son existence.

À lire aussi : Jeux d’influence : les lobbyistes en série

 

En cela, le livre et la série vont à rebours du traitement habituel du fait divers pour se concentrer, non pas sur la figure du meurtrier et son acte, mais sur la victime, en lui donnant le premier rôle.

Jean-Xavier de Lestrade s’en expliquait sur France Culture : « Au début, c’est l’affaire Tony Meilhon. C’est la disparition de Laëtitia qui devient l’affaire Tony Meilhon. Elle ne devient affaire Laëtitia que quasiment à la publication du livre d’Ivan Jablonka. Parce que c’était précisément le but : ne plus réduire Laëtitia à sa mort, mais de la redécouvrir, redécouvrir sa vie ».

Un genre hybride

La série Laëtitia se présente de prime abord comme une série policière classique, suivant l’enquête de gendarmerie. Au gré des flashbacks, elle revient également sur les quelques jours, les quelques heures avant le meurtre, conformément à ce que pourrait faire toute œuvre sur un fait divers. Suivant l’adaptation qui est faite de l’essai d’Ivan Jablonka, la série dresse le portrait de la victime à travers son enfance, témoin de la violence d’un père, la maladie d’une mère, et accompagnée pendant des années par l’aide sociale à l’enfance.

C’est précisément là où la série trouve sa pertinence en ne mettant pas seulement en scène un fait divers, mais en retraçant la vie de Laëtitia et toutes les épreuves familiales, sociales qu’elle a pu connaître en 18 ans d’existence.

Jean-Xavier de Lestrade montre aussi le traitement politique et médiatique qu’a été ce fait divers. Largement couverte par la presse, l’affaire a été évoquée par Nicolas Sarkozy, alors président de la République, pour relancer un débat sur la récidive et soulever un disfonctionnement du suivi judiciaire et pénal, ce pour quoi il avait promis « des sanctions ». Cette récupération politique de l’affaire avait alors déclenché une grève inédite de la magistrature.

Laëtitia - Jean-Xavier de Lestrade
Sophie Breyer et Marie Colomb © Jérôme PRÉBOIS / FTV / PCB FILMS & L’ÎLE CLAVEL

Violence patriarcale

En montrant la vie de Laëtitia, la série montre une réalité sociale qu’est la violence des hommes envers les femmes. L’enfance et l’adolescence de Laëtitia et sa sœur jumelle, Jessica, ayant été jonchée de violences misogynes, qu’elles en aient été témoins ou victimes. Une fois de plus, la série ne vient pas juste transposer à l’écran un fait divers, mais questionne les rapports déséquilibrés et dangereux qui se jouent dans notre société.

Pour contrebalancer la violence ambiante, les personnages du juge d’instruction et du lieutenant en charge de l’enquête sont d’une grande douceur et mesure. Dans un dialogue, le premier se questionne sur cette violence masculine à laquelle il ne prend pas : « Comme si la violence chez les hommes, ça allait de soi. Comme si c’était quelque chose de noble, dont il faudrait être fier ».

Jean-Xavier de Lestrade insiste : « Il faut cesser de voir Laëtitia et sa sœur comme des victimes. Oui, elles ont été victimes de certains faits, graves, et Laëtitia a été victime d’un meurtre. Mais elles ne sont pas que ça. Avant d’être victimes, ce sont des héroïnes. Des héroïnes du quotidien, qui apparemment ne font pas des choses extraordinaires. Mais quand on regarde le parcours de Laëtitia, de là où elle vient […] et jusqu’où elle est arrivée, on ne peut qu’être admiratif ».

Portrait de sa sœur

La série de Jean-Xavier de Lestrade, c’est aussi le portrait de Jessica, la jumelle. Magnifiquement interprétée par Sophie Breyer qui nous fait violemment ressentir tout son mal-être et autres émotions. C’est un portrait de Jessica, car elle « reste » après la disparition de Laëtitia. À travers elle, à travers son parcours, sa relation avec sa famille d’accueil, elle continue à écrire l’histoire. Et on voit ce sentiment de tristesse, de malaise, de rage face à sa relation avec sa famille d’accueil.

« Y’a tellement de choses que je ne peux pas imaginer sans elle. Le 4 mai, ce n’est pas mon anniversaire. C’est le nôtre. Ce jour-là, sans elle, c’est comme fêter la vie à moitié. Laëtitia (sourire). Vivre après elle, c’est un mensonge. Je ne sais pas comment faire. On ne s’est jamais quittées avec ma sœur. Notre père, oui, on l’a quitté. Notre mère aussi, on l’a quittée. Mais nous… Jamais. » (Extrait de la série Laëtitia)

Un grand casting

Il n’y a pas de grandes stars dans cette série, mais un casting où chacune et chacun sont parfaitement justes. Que ce soit Sophie Breyer, comme déjà citée, particulièrement poignante en Jessica ; Kevin Azaïs le père des jumelles, angoissant à souhait ; Noam Morgensztern, de la Comédie-Française, qui interprète un Tony Meilhon dérangé et dérangeant, et nous pourrions continuer la liste car chacun est parfait dans son rôle.

Cet article a été rédigé par Christophe Dupuis et Flora Vernaton.

Pour aller plus loin

La série Laëtitia sur le site de France Télévision
L’essai d’Ivan Jablonka, Laëtitia ou la fin des hommes, chez son éditeur, Seuil
L’émission La Grande Table de France Culture avec le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade

Laëtitia : portrait d'un fait divers et d'une héroïne - Milieu Hostile

Laëtitia : portrait d’un fait divers et d’une héroïne

Laëtitia - Jean-Xavier de Lestrade Marie Colomb dans Laëtitia ©Jérôme PRÉBOIS / FTV / PCB FILMS & L' ÎLE CLAVEL

Diffusée sur France Télévisions, la série Laëtitia de Jean-Xavier de Lestrade est une des grandes réussites de l’année 2020. En six épisodes, collant au plus près de ses personnages, elle revient sur le meurtre de Laëtitia Perrais en 2011.

Pendant la nuit du 18 au 19 janvier 2011, Laëtitia Perrais, 18 ans, disparaît. Seul son scooter renversé sera retrouvé sur la route à une cinquantaine de mètres de chez elle. Très rapidement, un suspect est arrêté, Tony Meilhon, qui avait passé la soirée avec la jeune femme. Une dizaine de jours plus tard des morceaux du corps de Laëtitia seront retrouvés dans un étang où le suspect était habitué à pêcher. Il sera condamné pour meurtre en 2015.

Au-delà du fait divers

En 2016, paraît l’essai d’Ivan Jablonka, Laëtitia ou la fin des hommes, consacré au meurtre de Laëtitia Perrais. Dans ce livre, l’historien cristallise tout ce que contient ce fait divers, l’émotion de citoyens face aux avis de recherche de cette jeune femme de 18 ans, puis face au récit de sa mort violente, la récupération politique de l’affaire et la grève des magistrats qui s’en est suivie, et enfin la fascination qu’exerce habituellement le fait divers et l’enquête policière en cours.

Jean-Xavier de Lestrade (Jeux d’influence) adapte l’essai d’Ivan Jablonka en une mini-série de six épisodes. Fidèle au livre, la série Laëtitia aborde à la fois l’enquête policière et la vie de la victime, de sa plus jeune enfance aux dernières heures de son existence.

À lire aussi : Jeux d’influence : les lobbyistes en série

 

En cela, le livre et la série vont à rebours du traitement habituel du fait divers pour se concentrer, non pas sur la figure du meurtrier et son acte, mais sur la victime, en lui donnant le premier rôle.

Jean-Xavier de Lestrade s’en expliquait sur France Culture : « Au début, c’est l’affaire Tony Meilhon. C’est la disparition de Laëtitia qui devient l’affaire Tony Meilhon. Elle ne devient affaire Laëtitia que quasiment à la publication du livre d’Ivan Jablonka. Parce que c’était précisément le but : ne plus réduire Laëtitia à sa mort, mais de la redécouvrir, redécouvrir sa vie ».

Un genre hybride

La série Laëtitia se présente de prime abord comme une série policière classique, suivant l’enquête de gendarmerie. Au gré des flashbacks, elle revient également sur les quelques jours, les quelques heures avant le meurtre, conformément à ce que pourrait faire toute œuvre sur un fait divers. Suivant l’adaptation qui est faite de l’essai d’Ivan Jablonka, la série dresse le portrait de la victime à travers son enfance, témoin de la violence d’un père, la maladie d’une mère, et accompagnée pendant des années par l’aide sociale à l’enfance.

C’est précisément là où la série trouve sa pertinence en ne mettant pas seulement en scène un fait divers, mais en retraçant la vie de Laëtitia et toutes les épreuves familiales, sociales qu’elle a pu connaître en 18 ans d’existence.

Jean-Xavier de Lestrade montre aussi le traitement politique et médiatique qu’a été ce fait divers. Largement couverte par la presse, l’affaire a été évoquée par Nicolas Sarkozy, alors président de la République, pour relancer un débat sur la récidive et soulever un disfonctionnement du suivi judiciaire et pénal, ce pour quoi il avait promis « des sanctions ». Cette récupération politique de l’affaire avait alors déclenché une grève inédite de la magistrature.

Laëtitia - Jean-Xavier de Lestrade
Sophie Breyer et Marie Colomb © Jérôme PRÉBOIS / FTV / PCB FILMS & L’ÎLE CLAVEL

Violence patriarcale

En montrant la vie de Laëtitia, la série montre une réalité sociale qu’est la violence des hommes envers les femmes. L’enfance et l’adolescence de Laëtitia et sa sœur jumelle, Jessica, ayant été jonchée de violences misogynes, qu’elles en aient été témoins ou victimes. Une fois de plus, la série ne vient pas juste transposer à l’écran un fait divers, mais questionne les rapports déséquilibrés et dangereux qui se jouent dans notre société.

Pour contrebalancer la violence ambiante, les personnages du juge d’instruction et du lieutenant en charge de l’enquête sont d’une grande douceur et mesure. Dans un dialogue, le premier se questionne sur cette violence masculine à laquelle il ne prend pas : « Comme si la violence chez les hommes, ça allait de soi. Comme si c’était quelque chose de noble, dont il faudrait être fier ».

Jean-Xavier de Lestrade insiste : « Il faut cesser de voir Laëtitia et sa sœur comme des victimes. Oui, elles ont été victimes de certains faits, graves, et Laëtitia a été victime d’un meurtre. Mais elles ne sont pas que ça. Avant d’être victimes, ce sont des héroïnes. Des héroïnes du quotidien, qui apparemment ne font pas des choses extraordinaires. Mais quand on regarde le parcours de Laëtitia, de là où elle vient […] et jusqu’où elle est arrivée, on ne peut qu’être admiratif ».

Portrait de sa sœur

La série de Jean-Xavier de Lestrade, c’est aussi le portrait de Jessica, la jumelle. Magnifiquement interprétée par Sophie Breyer qui nous fait violemment ressentir tout son mal-être et autres émotions. C’est un portrait de Jessica, car elle « reste » après la disparition de Laëtitia. À travers elle, à travers son parcours, sa relation avec sa famille d’accueil, elle continue à écrire l’histoire. Et on voit ce sentiment de tristesse, de malaise, de rage face à sa relation avec sa famille d’accueil.

« Y’a tellement de choses que je ne peux pas imaginer sans elle. Le 4 mai, ce n’est pas mon anniversaire. C’est le nôtre. Ce jour-là, sans elle, c’est comme fêter la vie à moitié. Laëtitia (sourire). Vivre après elle, c’est un mensonge. Je ne sais pas comment faire. On ne s’est jamais quittées avec ma sœur. Notre père, oui, on l’a quitté. Notre mère aussi, on l’a quittée. Mais nous… Jamais. » (Extrait de la série Laëtitia)

Un grand casting

Il n’y a pas de grandes stars dans cette série, mais un casting où chacune et chacun sont parfaitement justes. Que ce soit Sophie Breyer, comme déjà citée, particulièrement poignante en Jessica ; Kevin Azaïs le père des jumelles, angoissant à souhait ; Noam Morgensztern, de la Comédie-Française, qui interprète un Tony Meilhon dérangé et dérangeant, et nous pourrions continuer la liste car chacun est parfait dans son rôle.

Cet article a été rédigé par Christophe Dupuis et Flora Vernaton.

Pour aller plus loin

La série Laëtitia sur le site de France Télévision
L’essai d’Ivan Jablonka, Laëtitia ou la fin des hommes, chez son éditeur, Seuil
L’émission La Grande Table de France Culture avec le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade