“La Floride est si belle qu’on pourrait la croire civilisée”

site internet ©http://timdorsey.com/

[Cet article est la préface de Cadillac Beach, roman de Tim Dorsey paru dans la collection Rivages/Noir en 2011]

Bénies soient les éditions Rivages qui traduisent l’œuvre de Tim Dorsey dans leur ordre de publication aux Etats-Unis, mais comme le souligne l’auteur, si vous vous demandez pourquoi des personnes mortes (en particulier Coleman et Sharon) réapparaissent dans d’autres livres, c’est que la chronologie des parutions n’est pas celle de la vie des personnages. Alors vous qui pourriez découvrir la saga au milieu (ce qui ne pose aucun problème), si d’aventure vous vouliez tout reprendre depuis le début, sachez que l’ordre est : Triggerfish Twist, Florida Roadkill, Hammerhead Ranch Motel, Stingray Shuffle, Orange Crush et Cadillac Beach.

Tim Dorsey vit en Floride depuis l’âge d’un an. Il a été journaliste jusqu’à la fin des années 90 puis a tout lâché pour se lancer dans ses chroniques hautes en couleur de la Floride (un parcours qui n’est pas sans rappeler celui de Carl Hiaasen, qu’il salue dans un de ses romans). Son premier livre, Florida Roadkill, paru en 1999, marque le début des aventures de Serge dont le treizième épisode, Electric Barracuda, est sorti début 2011 aux Etats-Unis. Comme George Chesbro et Mongo, Tim Dorsey et Serge sont difficilement dissociables. S’il vous en faut une preuve, allez faire un tour sur son site internet.

Tim Dorsey s’inscrit dans un courant que nous pourrions qualifier “d’humour amoral”, à côté d’auteurs comme – la liste est loin d’être exhaustive – Jerry Stahl (A poil en civil), Mark Haskell Smith (A bras raccourci) ou Anonyme (Le livre sans nom).

Pourquoi amoral ? Regardons en détail qui est Serge A. Storms : dès son plus jeune âge, il est classé par les services sociaux, comme fou dangereux : “Obsessionnel, compulsif, maniaco-depressif, rétenteur anal, paranoïaque et schizophrène”. Il grandit et se retrouve aujourd’hui avec un comportement “comme un commutateur : soit allumé, soit éteint. Sans réglage possible”. Cette absence de mesure ajoutée à “une boussole morale complètement démagnétisée”, donne tout le ton et le piquant des histoires. Serge ne boit pas, ne fume pas, aime bien les médocs (les ennuis arrivent d’ailleurs lorsqu’il arrête son traitement) et n’a qu’une seule passion dans la vie, La Floride.

Il était amoureux de la Floride. Pour chaque coin de l’Etat, il avait dressé sa liste Julie Andrews des sites qu’il préférait – endroits qui devaient tous être visités au cours du même périple hyperactif composé de sauts de puce de restaurants en musées et autres monuments. Serge ne vivait que comme ça.
Extrait de Florida Roadkill

 

Au début de la saga, Serge est entouré de Seymour Bunsen, dit Coleman (le pourquoi du surnom vaut le détour !) qui aime manger gras, boire et se défoncer. Et de Sharon Rhodes (dernier nom connu), blonde, plus d’un mètre quatre-vingt, “à elle seule un numéro de Sports Illustrated consacré aux maillots de bains”, qui passe son temps à épouser des hommes riches, à s’en débarrasser et à boire et fumer l’argent récupéré. Sharon tuerait père et mère pour une pipe de crack. Comme le dit Serge, ils forment les Trois Mousquetaires : “Un chef, une mascotte et un ornement de calandre”. Le trio va malheureusement se disloquer (triste vie) et Serge va continuer ses aventures avec Lenny Lippowicz qui a un profil sensiblement identique à celui de Coleman – la maladresse en moins. Mais tout ne repose pas que sur l’infatigable Serge, il y a toujours autour de lui une galerie de rôles secondaires (en général quinze à vingt personnes, poursuivant trois à quatre histoires différentes, ce qui fait que les livres sont difficilement résumables). Tim Dorsey prend parfaitement le temps de les construire, ce qui donne toute la densité à ses romans. Et l’humour annoncé au début du paragraphe, me direz-vous ? Il tient au moins à quatre éléments :

D’abord la Floride, qui reste quand même un État à part aux États-Unis : “Voleurs de voitures, personnes âgées exploitées, hors-bord qui foncent pour semer les gardes-côtes, mélanomes, marées noires, règlements municipaux, moustiques tellement joufflus qu’ils éclatent les pare-brise, Colombiens qui défouraillent à tout-va, Cubains boycottés, flingueurs qui s’entretiennent en respect, spéculateurs qui tablent sur la croissance larvée, minorités agissant pour la prospection pétrolière en haute mer, rhum pas cher, hôtels moins chers encore, pipes à crack, préservatifs, oreilles de Mickey, […], restaus spécialisés dans l’aile de poulet grillé et le service topless…”. De cette Floride, Tim Dorsey tire la matière de ses livres et comme il l’écrit “Il découvrit bientôt qu’il n’avait guère besoin d’embellir la réalité. En effet, celle-ci se débrouillait très bien toute seule pour passer les bornes du crédible.”

Ensuite il y a la personnalité de Serge, “ivre de vie et d’enthousiasme”, charmant quand il parle de la Floride mais capable des pires extrémités lorsqu’il est contrarié. Son seuil de tolérance est très bas, ses vengeances terribles (pour paraphraser un légiste : “je savais que c’était théoriquement possible mais je n’avais encore jamais vu de la viande séchée humaine”).

Sans oublier la virtuosité des dialogues : certaines personnes citent toujours ceux d’Audiard, ils n’ont pas tort, mais ils devraient lire Tim Dorsey pour remettre leurs joutes à jours.

Et pour finir, les chutes extraordinaires des romans : avez-vous déjà lu un livre se terminant par une méga fusée d’artifice explosant dans une maison ? Ou un autre par une tornade dans le bar extérieur d’un motel où sont enfermées des personnes regardant la fin de Key Largo ?

Sachez qu’entrer dans le monde de Tim Dorsey c’est prendre une claque sidérale (ce qui n’a rien d’étonnant quand on connaît la passion de Serge pour la NASA) alors, n’hésitez pas, l’éclat de rire est garanti.

Nous laisserons le mot de la fin à Serge : “Faites bien attention. Dehors c’est la bêtise qui règne en maître.”

Pour aller plus loin


Cadillac Beach, Torpedo Juice (paru en 2015) et les autres romans de Tim Dorsey sont chez Rivages, leur éditeur français,
Et chez William Morrow, aux États-Unis.
Et toujours le site internet de Tim Dorsey, aux mille et un trésors.

"La Floride est si belle qu'on pourrait la croire civilisée" - Milieu Hostile

“La Floride est si belle qu’on pourrait la croire civilisée”

site internet ©http://timdorsey.com/

[Cet article est la préface de Cadillac Beach, roman de Tim Dorsey paru dans la collection Rivages/Noir en 2011]

Bénies soient les éditions Rivages qui traduisent l’œuvre de Tim Dorsey dans leur ordre de publication aux Etats-Unis, mais comme le souligne l’auteur, si vous vous demandez pourquoi des personnes mortes (en particulier Coleman et Sharon) réapparaissent dans d’autres livres, c’est que la chronologie des parutions n’est pas celle de la vie des personnages. Alors vous qui pourriez découvrir la saga au milieu (ce qui ne pose aucun problème), si d’aventure vous vouliez tout reprendre depuis le début, sachez que l’ordre est : Triggerfish Twist, Florida Roadkill, Hammerhead Ranch Motel, Stingray Shuffle, Orange Crush et Cadillac Beach.

Tim Dorsey vit en Floride depuis l’âge d’un an. Il a été journaliste jusqu’à la fin des années 90 puis a tout lâché pour se lancer dans ses chroniques hautes en couleur de la Floride (un parcours qui n’est pas sans rappeler celui de Carl Hiaasen, qu’il salue dans un de ses romans). Son premier livre, Florida Roadkill, paru en 1999, marque le début des aventures de Serge dont le treizième épisode, Electric Barracuda, est sorti début 2011 aux Etats-Unis. Comme George Chesbro et Mongo, Tim Dorsey et Serge sont difficilement dissociables. S’il vous en faut une preuve, allez faire un tour sur son site internet.

Tim Dorsey s’inscrit dans un courant que nous pourrions qualifier “d’humour amoral”, à côté d’auteurs comme – la liste est loin d’être exhaustive – Jerry Stahl (A poil en civil), Mark Haskell Smith (A bras raccourci) ou Anonyme (Le livre sans nom).

Pourquoi amoral ? Regardons en détail qui est Serge A. Storms : dès son plus jeune âge, il est classé par les services sociaux, comme fou dangereux : “Obsessionnel, compulsif, maniaco-depressif, rétenteur anal, paranoïaque et schizophrène”. Il grandit et se retrouve aujourd’hui avec un comportement “comme un commutateur : soit allumé, soit éteint. Sans réglage possible”. Cette absence de mesure ajoutée à “une boussole morale complètement démagnétisée”, donne tout le ton et le piquant des histoires. Serge ne boit pas, ne fume pas, aime bien les médocs (les ennuis arrivent d’ailleurs lorsqu’il arrête son traitement) et n’a qu’une seule passion dans la vie, La Floride.

Il était amoureux de la Floride. Pour chaque coin de l’Etat, il avait dressé sa liste Julie Andrews des sites qu’il préférait – endroits qui devaient tous être visités au cours du même périple hyperactif composé de sauts de puce de restaurants en musées et autres monuments. Serge ne vivait que comme ça.
Extrait de Florida Roadkill

 

Au début de la saga, Serge est entouré de Seymour Bunsen, dit Coleman (le pourquoi du surnom vaut le détour !) qui aime manger gras, boire et se défoncer. Et de Sharon Rhodes (dernier nom connu), blonde, plus d’un mètre quatre-vingt, “à elle seule un numéro de Sports Illustrated consacré aux maillots de bains”, qui passe son temps à épouser des hommes riches, à s’en débarrasser et à boire et fumer l’argent récupéré. Sharon tuerait père et mère pour une pipe de crack. Comme le dit Serge, ils forment les Trois Mousquetaires : “Un chef, une mascotte et un ornement de calandre”. Le trio va malheureusement se disloquer (triste vie) et Serge va continuer ses aventures avec Lenny Lippowicz qui a un profil sensiblement identique à celui de Coleman – la maladresse en moins. Mais tout ne repose pas que sur l’infatigable Serge, il y a toujours autour de lui une galerie de rôles secondaires (en général quinze à vingt personnes, poursuivant trois à quatre histoires différentes, ce qui fait que les livres sont difficilement résumables). Tim Dorsey prend parfaitement le temps de les construire, ce qui donne toute la densité à ses romans. Et l’humour annoncé au début du paragraphe, me direz-vous ? Il tient au moins à quatre éléments :

D’abord la Floride, qui reste quand même un État à part aux États-Unis : “Voleurs de voitures, personnes âgées exploitées, hors-bord qui foncent pour semer les gardes-côtes, mélanomes, marées noires, règlements municipaux, moustiques tellement joufflus qu’ils éclatent les pare-brise, Colombiens qui défouraillent à tout-va, Cubains boycottés, flingueurs qui s’entretiennent en respect, spéculateurs qui tablent sur la croissance larvée, minorités agissant pour la prospection pétrolière en haute mer, rhum pas cher, hôtels moins chers encore, pipes à crack, préservatifs, oreilles de Mickey, […], restaus spécialisés dans l’aile de poulet grillé et le service topless…”. De cette Floride, Tim Dorsey tire la matière de ses livres et comme il l’écrit “Il découvrit bientôt qu’il n’avait guère besoin d’embellir la réalité. En effet, celle-ci se débrouillait très bien toute seule pour passer les bornes du crédible.”

Ensuite il y a la personnalité de Serge, “ivre de vie et d’enthousiasme”, charmant quand il parle de la Floride mais capable des pires extrémités lorsqu’il est contrarié. Son seuil de tolérance est très bas, ses vengeances terribles (pour paraphraser un légiste : “je savais que c’était théoriquement possible mais je n’avais encore jamais vu de la viande séchée humaine”).

Sans oublier la virtuosité des dialogues : certaines personnes citent toujours ceux d’Audiard, ils n’ont pas tort, mais ils devraient lire Tim Dorsey pour remettre leurs joutes à jours.

Et pour finir, les chutes extraordinaires des romans : avez-vous déjà lu un livre se terminant par une méga fusée d’artifice explosant dans une maison ? Ou un autre par une tornade dans le bar extérieur d’un motel où sont enfermées des personnes regardant la fin de Key Largo ?

Sachez qu’entrer dans le monde de Tim Dorsey c’est prendre une claque sidérale (ce qui n’a rien d’étonnant quand on connaît la passion de Serge pour la NASA) alors, n’hésitez pas, l’éclat de rire est garanti.

Nous laisserons le mot de la fin à Serge : “Faites bien attention. Dehors c’est la bêtise qui règne en maître.”

Pour aller plus loin


Cadillac Beach, Torpedo Juice (paru en 2015) et les autres romans de Tim Dorsey sont chez Rivages, leur éditeur français,
Et chez William Morrow, aux États-Unis.
Et toujours le site internet de Tim Dorsey, aux mille et un trésors.