Interview avec Boris Quercia – La fin de Santiago ?

Sans rien vous dévoiler, il apparaît dès les premières pages que La Légende de Santiago marque la fin des aventures de Santiago Quiñones. L’occasion pour nous, grâce à ses éditrices entremetteuses, de poser quelques questions à Boris Quercia.

Boris Quercia sur le site de vos éditrices françaises, on peut lire que vous êtes chilien et « très connu en tant que cinéaste aux multiples facettes : acteur, réalisateur, scénariste, producteur… ». Nous avons été faire un tour sur votre fiche IMDb, mais visiblement pas grand-chose nous est arrivé en France, vous nous en faites un petit résumé ?
Le résumé, c’est que je suis un type qui a de la chance (du moins jusqu’à maintenant). J’ai commencé en tant que comédien, d’abord dans la rue car il y avait peu d’espaces culturels au Chili à la fin des années 1980. Quasi immédiatement, j’ai eu la chance de jouer dans la pièce de théâtre qui a eu le plus de succès ces trente dernières années, La Negra Ester. Ma carrière s’est donc poursuivie au théâtre et à la télévision, jusqu’à ce que je réalise mon premier film, avec lequel j’ai eu (à nouveau) la chance de faire un million d’entrée, ce qui est beaucoup pour le Chili. Du coup, je me suis dit que c’était peut-être ça, ma voie, alors j’ai continué jusqu’à ce que j’aie la chance (encore une fois) de superviser une série télévisée racontant la vie d’une famille chilienne durant la dictature militaire. La série s’appelait Los 80 et j’ai réalisé cinq saisons qui ont très bien marché, les gens s’en souviennent avec beaucoup d’affection. Cette année, j’ai eu la chance (c’est très difficile de faire du cinéma au Chili) de pouvoir tourner une comédie, qui s’appelle ¿Cómo andamos por casa? et qui dresse un portrait ironique de la classe moyenne chilienne.

Avec tous ces métiers liés au cinéma, comment avez-vous trouvé le temps de vous lancer dans l’écriture romanesque ?
La gestion du temps est un mystère pour moi, mais comme j’aime écrire et que j’y prends beaucoup de plaisir, les heures que j’y passe sont celles qui correspondent à mon temps libre. En réalité, la frontière entre temps libre/temps de travail est très brouillée dans mon cas. Généralement, je travaille quand les autres s’amusent et vice-versa.

Je suis un écrivain très prolifique de romans inachevés… Mais ce n’est qu’avec Santiago Quiñones que l’écriture m’est venue avec fluidité.

Et pourquoi le polar ? Historiquement, pour nous, le polar chilien ce sont Luis Sepúlveda et Ramón Díaz Eterovic, qu’en est-il aujourd’hui, car nous n’avons guère de traductions qui nous arrivent, sans compter tous les Ramón Díaz Eterovic qui nous manquent…
Deux grands auteurs. Je vois parfois Ramón à Santiago et je suis un admirateur de son œuvre. Mais c’est plutôt par le cinéma que je suis arrivé au roman noir, avec des films comme Du rififi chez les hommes, Chinatown ou Blade Runner. Côté littérature, j’aime beaucoup la science-fiction, Philip K. Dick évidemment, et les personnages solitaires, au poids existentiel, qui apparaissent dans les œuvres de Bolaño, Cortazar, Sabato, Saramago, Camus.

Nous vous avons donc découvert chez Asphalte avec Les Rues de Santiago qui s’ouvre par cette magnifique phrase dite par Santiago Quiñones « Il fait froid, il est six heures vingt-trois du matin, on est tout juste mardi et je n’ai pas envie de tuer qui que ce soit ». Comment est né ce premier roman, sec et court, et comment est arrivé Santiago Quiñones ?
Il y a plusieurs raisons, je ne sais pas laquelle a le plus compté. L’une d’elles, c’est que lorsqu’on écrit des scénarios de films ou de séries, il faut toujours garder en tête les questions budgétaires. Parce qu’on sait qu’à la fin, il n’y a jamais assez d’argent. Du coup, on essaie de ne pas avoir trop de lieux et de personnages différents, on évite les scènes de nuit ou sous la pluie, ainsi que les scènes d’action. Dans l’idéal, tout se résout dans un café, une chambre ou un parc. C’est pour ça que lorsque j’ai décidé d’écrire un roman, c’était aussi une façon de me libérer de ces contraintes et d’écrire ce qui me plaisait. D’autre part, en tant que scénariste, on considère toujours le roman comme un genre majeur vers lequel il faut tendre, et j’avais déjà essayé plusieurs fois d’en écrire un. Je suis un écrivain très prolifique de romans inachevés… Mais ce n’est qu’avec Santiago Quiñones que l’écriture m’est venue avec fluidité et que j’ai pu franchir la barrière que mes essais antérieurs n’avaient pas franchi.

Saviez-vous d’entrée de jeu que vous en écririez la suite ?
C’est quelque chose que le genre policier permet de toute façon, mais la motivation pour continuer m’est venue justement à la parution du roman en France, grâce à l’enthousiasme de Claire et Estelle à l’idée que les aventures du personnage se poursuivent. C’est ça qui m’a décidé à me remettre à l’écriture.

Le deuxième, Tant de chiens, obtient le Grand Prix du roman noir étranger du Festival de Beaune et le Grand Prix de littérature policière 2016. Qu’est-ce que ça vous a fait ?
C’était quelque chose de complètement inespéré pour moi, il se trouve que j’étais justement à Paris ces jours-là et j’ai pu assister à la cérémonie de remise du Grand prix de littérature policière et profiter du moment avec Claire, Estelle et Isabel Siklodi, ma traductrice, qui est également responsable du succès du roman.

Lire aussi : Éditions Asphalte : six ans

 

Sentez-vous une différence de lectorat entre la France et le Chili ?
Je ne pense pas qu’il y ait de grande différence, à part leur taille. Il y a peu d’habitants au Chili et on y lit peu, par conséquent un roman ne peut intéresser qu’un petit groupe de personnes. Ça m’a touché, de participer à des festivals de polar dans toute la France et d’assister à des rencontres en salons, dans des écoles, en librairies… L’effervescence qu’il y a en France autour des livres, et en particulier des polars, est beaucoup plus difficile à percevoir ici au Chili.

Quel rapport avez-vous avez vos éditrices ? Et parlez-nous des playlist qui accompagnent vos romans…
Ça se passe très bien. Je suis très reconnaissant envers Asphalte pour leur confiance dans mon travail et leur enthousiasme pour le promouvoir.

Les playlists sont un mélange de chansons qui apparaissent dans le roman et d’autres morceaux qui expriment la vision que j’espère transmettre dans les textes. Cette vision tragique du monde, qui nous fait aimer encore plus la vie.

La playlist de La Légende de Santiago :




Sort donc cette année La Légende de Santiago. On sent Quiñones au bout de son voyage, et ça nous embête, car on l’aime bien… Alors pourquoi ? Lassitude ? Envie de passer à autre chose ?
Je crois que c’est simplement le cours naturel de cette histoire. L’épigraphe du premier roman était une phrase de Jean Cocteau : « La vie est une chute horizontale. » Parce que j’avais l’impression que le personnage tombait, et cette sensation de chute s’accentue de roman en roman, donc quand on tombe de cette manière, à un moment donné on s’écrase. J’essaie de ne pas trop m’embêter et de laisser les histoires se développer naturellement.

Cette trilogie est marquée par des déambulations physiques ou mentales dans Santiago du Chili, nous offrant de belles rencontres, de beaux portraits… Quel rapport entretenez-vous avec votre ville ?
J’aime ma ville, surtout les lieux qui ont une personnalité. Et le centre-ville, où se passe l’histoire, est l’un de ceux qui en ont le plus à Santiago. De plus, il est peuplé d’une faune toujours changeante, de personnages très intéressants. J’aime vivre au milieu des bruits et du désordre de la ville, et je ressens une certaine angoisse dans les quartiers ordonnés, surveillés, propres, avec des maisons toutes identiques, loin des commerces.

Sur le site IMDb, on peut voir qu’il y a une série prévue sur Santiago Quiñones, pouvez-vous nous en dire plus ?
Je suis en pleine écriture des scénarios et ça a été très difficile. Le roman se passe beaucoup dans la tête de Santiago, et ce qui lui arrive est plus important que la trame policière proprement dite. Mais je ne peux pas le laisser assis sur un banc à Santiago durant cinq minutes tandis que sa voix nous raconte en off comment il se sent. Pendant ce travail, je me suis rendu compte que cette phrase, « une image vaut plus que mille mots », est un mensonge.

Du coup, l’avenir, c’est cette série, mais ensuite, pensez-vous vous remettre à un roman ?
Je suis toujours en train d’écrire quelque chose, j’attends que ça prenne son envol et que ça se développe. On verra si j’ai de la chance.

Merci à Claire Duvivier pour la traduction.

Pour aller plus loin

Boris Quercia chez Aspahlte, son éditeur
Et sur le site Imdb pour sa carrière cinématographique (en anglais)

Interview avec Boris Quercia - La fin de Santiago ? - Milieu Hostile

Interview avec Boris Quercia – La fin de Santiago ?

Sans rien vous dévoiler, il apparaît dès les premières pages que La Légende de Santiago marque la fin des aventures de Santiago Quiñones. L’occasion pour nous, grâce à ses éditrices entremetteuses, de poser quelques questions à Boris Quercia.

Boris Quercia sur le site de vos éditrices françaises, on peut lire que vous êtes chilien et « très connu en tant que cinéaste aux multiples facettes : acteur, réalisateur, scénariste, producteur… ». Nous avons été faire un tour sur votre fiche IMDb, mais visiblement pas grand-chose nous est arrivé en France, vous nous en faites un petit résumé ?
Le résumé, c’est que je suis un type qui a de la chance (du moins jusqu’à maintenant). J’ai commencé en tant que comédien, d’abord dans la rue car il y avait peu d’espaces culturels au Chili à la fin des années 1980. Quasi immédiatement, j’ai eu la chance de jouer dans la pièce de théâtre qui a eu le plus de succès ces trente dernières années, La Negra Ester. Ma carrière s’est donc poursuivie au théâtre et à la télévision, jusqu’à ce que je réalise mon premier film, avec lequel j’ai eu (à nouveau) la chance de faire un million d’entrée, ce qui est beaucoup pour le Chili. Du coup, je me suis dit que c’était peut-être ça, ma voie, alors j’ai continué jusqu’à ce que j’aie la chance (encore une fois) de superviser une série télévisée racontant la vie d’une famille chilienne durant la dictature militaire. La série s’appelait Los 80 et j’ai réalisé cinq saisons qui ont très bien marché, les gens s’en souviennent avec beaucoup d’affection. Cette année, j’ai eu la chance (c’est très difficile de faire du cinéma au Chili) de pouvoir tourner une comédie, qui s’appelle ¿Cómo andamos por casa? et qui dresse un portrait ironique de la classe moyenne chilienne.

Avec tous ces métiers liés au cinéma, comment avez-vous trouvé le temps de vous lancer dans l’écriture romanesque ?
La gestion du temps est un mystère pour moi, mais comme j’aime écrire et que j’y prends beaucoup de plaisir, les heures que j’y passe sont celles qui correspondent à mon temps libre. En réalité, la frontière entre temps libre/temps de travail est très brouillée dans mon cas. Généralement, je travaille quand les autres s’amusent et vice-versa.

Je suis un écrivain très prolifique de romans inachevés… Mais ce n’est qu’avec Santiago Quiñones que l’écriture m’est venue avec fluidité.

Et pourquoi le polar ? Historiquement, pour nous, le polar chilien ce sont Luis Sepúlveda et Ramón Díaz Eterovic, qu’en est-il aujourd’hui, car nous n’avons guère de traductions qui nous arrivent, sans compter tous les Ramón Díaz Eterovic qui nous manquent…
Deux grands auteurs. Je vois parfois Ramón à Santiago et je suis un admirateur de son œuvre. Mais c’est plutôt par le cinéma que je suis arrivé au roman noir, avec des films comme Du rififi chez les hommes, Chinatown ou Blade Runner. Côté littérature, j’aime beaucoup la science-fiction, Philip K. Dick évidemment, et les personnages solitaires, au poids existentiel, qui apparaissent dans les œuvres de Bolaño, Cortazar, Sabato, Saramago, Camus.

Nous vous avons donc découvert chez Asphalte avec Les Rues de Santiago qui s’ouvre par cette magnifique phrase dite par Santiago Quiñones « Il fait froid, il est six heures vingt-trois du matin, on est tout juste mardi et je n’ai pas envie de tuer qui que ce soit ». Comment est né ce premier roman, sec et court, et comment est arrivé Santiago Quiñones ?
Il y a plusieurs raisons, je ne sais pas laquelle a le plus compté. L’une d’elles, c’est que lorsqu’on écrit des scénarios de films ou de séries, il faut toujours garder en tête les questions budgétaires. Parce qu’on sait qu’à la fin, il n’y a jamais assez d’argent. Du coup, on essaie de ne pas avoir trop de lieux et de personnages différents, on évite les scènes de nuit ou sous la pluie, ainsi que les scènes d’action. Dans l’idéal, tout se résout dans un café, une chambre ou un parc. C’est pour ça que lorsque j’ai décidé d’écrire un roman, c’était aussi une façon de me libérer de ces contraintes et d’écrire ce qui me plaisait. D’autre part, en tant que scénariste, on considère toujours le roman comme un genre majeur vers lequel il faut tendre, et j’avais déjà essayé plusieurs fois d’en écrire un. Je suis un écrivain très prolifique de romans inachevés… Mais ce n’est qu’avec Santiago Quiñones que l’écriture m’est venue avec fluidité et que j’ai pu franchir la barrière que mes essais antérieurs n’avaient pas franchi.

Saviez-vous d’entrée de jeu que vous en écririez la suite ?
C’est quelque chose que le genre policier permet de toute façon, mais la motivation pour continuer m’est venue justement à la parution du roman en France, grâce à l’enthousiasme de Claire et Estelle à l’idée que les aventures du personnage se poursuivent. C’est ça qui m’a décidé à me remettre à l’écriture.

Le deuxième, Tant de chiens, obtient le Grand Prix du roman noir étranger du Festival de Beaune et le Grand Prix de littérature policière 2016. Qu’est-ce que ça vous a fait ?
C’était quelque chose de complètement inespéré pour moi, il se trouve que j’étais justement à Paris ces jours-là et j’ai pu assister à la cérémonie de remise du Grand prix de littérature policière et profiter du moment avec Claire, Estelle et Isabel Siklodi, ma traductrice, qui est également responsable du succès du roman.

Lire aussi : Éditions Asphalte : six ans

 

Sentez-vous une différence de lectorat entre la France et le Chili ?
Je ne pense pas qu’il y ait de grande différence, à part leur taille. Il y a peu d’habitants au Chili et on y lit peu, par conséquent un roman ne peut intéresser qu’un petit groupe de personnes. Ça m’a touché, de participer à des festivals de polar dans toute la France et d’assister à des rencontres en salons, dans des écoles, en librairies… L’effervescence qu’il y a en France autour des livres, et en particulier des polars, est beaucoup plus difficile à percevoir ici au Chili.

Quel rapport avez-vous avez vos éditrices ? Et parlez-nous des playlist qui accompagnent vos romans…
Ça se passe très bien. Je suis très reconnaissant envers Asphalte pour leur confiance dans mon travail et leur enthousiasme pour le promouvoir.

Les playlists sont un mélange de chansons qui apparaissent dans le roman et d’autres morceaux qui expriment la vision que j’espère transmettre dans les textes. Cette vision tragique du monde, qui nous fait aimer encore plus la vie.

La playlist de La Légende de Santiago :




Sort donc cette année La Légende de Santiago. On sent Quiñones au bout de son voyage, et ça nous embête, car on l’aime bien… Alors pourquoi ? Lassitude ? Envie de passer à autre chose ?
Je crois que c’est simplement le cours naturel de cette histoire. L’épigraphe du premier roman était une phrase de Jean Cocteau : « La vie est une chute horizontale. » Parce que j’avais l’impression que le personnage tombait, et cette sensation de chute s’accentue de roman en roman, donc quand on tombe de cette manière, à un moment donné on s’écrase. J’essaie de ne pas trop m’embêter et de laisser les histoires se développer naturellement.

Cette trilogie est marquée par des déambulations physiques ou mentales dans Santiago du Chili, nous offrant de belles rencontres, de beaux portraits… Quel rapport entretenez-vous avec votre ville ?
J’aime ma ville, surtout les lieux qui ont une personnalité. Et le centre-ville, où se passe l’histoire, est l’un de ceux qui en ont le plus à Santiago. De plus, il est peuplé d’une faune toujours changeante, de personnages très intéressants. J’aime vivre au milieu des bruits et du désordre de la ville, et je ressens une certaine angoisse dans les quartiers ordonnés, surveillés, propres, avec des maisons toutes identiques, loin des commerces.

Sur le site IMDb, on peut voir qu’il y a une série prévue sur Santiago Quiñones, pouvez-vous nous en dire plus ?
Je suis en pleine écriture des scénarios et ça a été très difficile. Le roman se passe beaucoup dans la tête de Santiago, et ce qui lui arrive est plus important que la trame policière proprement dite. Mais je ne peux pas le laisser assis sur un banc à Santiago durant cinq minutes tandis que sa voix nous raconte en off comment il se sent. Pendant ce travail, je me suis rendu compte que cette phrase, « une image vaut plus que mille mots », est un mensonge.

Du coup, l’avenir, c’est cette série, mais ensuite, pensez-vous vous remettre à un roman ?
Je suis toujours en train d’écrire quelque chose, j’attends que ça prenne son envol et que ça se développe. On verra si j’ai de la chance.

Merci à Claire Duvivier pour la traduction.

Pour aller plus loin

Boris Quercia chez Aspahlte, son éditeur
Et sur le site Imdb pour sa carrière cinématographique (en anglais)