Bored to Death, quand l’ennui devient fécond

Bored to Death - Jason Schwartzman Zach Galifianakis Ted Danson

Écrire un article sur la série Bored to Death, c’est perpétuellement se retenir d’utiliser le terme « génial », que ce soit pour qualifier la série elle-même, ou ses acteurs principaux, Jason Schwartzman, Zach Galifianakis et Ted Danson. Créée en 2009 et arrêtée après trois saisons par HBO, Bored to Death allie l’humour et la culture du fiasco dans un hommage au roman hardboiled, le tout est des plus rocambolesques.

 

Dès le début du premier épisode de la série, Jonathan Ames (Jason Schwartzman), jeune auteur de Brooklyn, passe un mauvais moment. En effet, sa copine est en train de le quitter et de déménager ses affaires, car malgré ses mises en garde, il n’a renoncé ni au cannabis, ni au vin blanc. Confronté à lui même et à son second roman, dont il n’a pas encore rédigé une ligne, il virevolte dans son appartement désormais vide, lit un Raymond Chandler, et pour pallier à son ennui, poste une annonce offrant ses services de détective privé, sans licence, sur internet. En même temps que sa première enquête, le premier épisode présente de façon très classique, le quotidien du personnage principal de la série à son spectateur, lieux, habitudes, mais surtout ses fidèles compagnons, Ray, dessinateur de comics (Zach Galifianakis), et George (Ted Danson), éditorialiste d’un puissant magazine New-Yorkais.

Si la série suit pour chaque épisode une nouvelle enquête de ce détective privé très amateur, il est important de préciser que la résolution de celle-ci est le plus souvent chaotique, et que la présence amicale de Ray et George dans ce contexte, est rarement une aide.

Bored to Death - Jason Schwartzman Zach Galifianakis Ted Danson

Beautiful losers

Le principal ressort comique de la série tient dans le caractère des personnages, et leur inexplicable compétence pour se retrouver dans des situations cocasses et totalement invraisemblables. L’humour de la série tient pour beaucoup de cet humour de situation, mais aussi de l’absurdité des personnages. Car si Jonathan est d’une relative efficacité en tant que détective privé, nous y reviendrons, ses deux acolytes, Ray et George sont eux aussi particulièrement hauts en couleur.

L’un est pauvre, cherche un éditeur pour ses dessins le représentant en super héros au pénis gigantesque, l’autre est classieux, évolue dans des hauts et beaux milieux, mais tous deux ont en commun une certaine incompétence et une douce folie. Concrètement ce sont des branquignols. Au charme fou.

Bored to Death Ray Dean Haspiel
Crédit Dean Haspiel

Tous trois partagent une certaine immaturité qui les rend incompétents face au monde dans lequel ils vivent, ils y évoluent en hommes-enfants, risibles mais attachants malgré leurs failles. Leur manque de confiance en eux les rend aussi particulièrement inaptes aux relations amoureuses, le prouvent les multiples échecs qu’ils accumulent chacun dans ce domaine.
En somme, ils forment une équipe de losers, qui a pour elle sa loufoquerie, mais aussi la relation qui les unit tous trois, une belle et sincère amitié, qui constitue une qualité de la série, si bien qu’en tant que spectateur on a envie de faire partie de leur bande.

Il est essentiel de saluer le casting de la série, les trois rôles principaux ne pourraient être aussi parfaits sans les acteurs qui les interprètent, à savoir, Jason Schwartzman dont la sensibilité sert superbement le personnage de Jonathan Ames, Zach Galifianakis en grincheux Ray, et le génial Ted Danson qui campe George.

Bored to Death - Jason Schwartzman Zach Galifianakis Ted Danson

Bored to Death, est la démonstration que l’ennui peut être créatif, voire récréatif. Il faut voir l’énergie que mettent en place les personnages de la série pour échapper au paisible et moribond de leur propre vie, et aussi à leurs responsabilités. Ce n’est pas tant que leur quotidien est insupportable, mais plutôt qu’ils y sont inaptes, alors tant qu’à devoir affronter la réalité, autant le faire par le biais d’une double vie.

Et quelle double vie aussi excitante que celle de détective privé ?

Le personnage de Jonathan Ames décide de proposer ses services de détective privé, après la lecture de Farewell my Lovely de Chandler. L’auteur comme le privé qu’il met en scène, Philip Marlowe, sont tous deux des représentants les plus importants du roman américain hardboiled. Les caractéristiques principales de ce type de roman noir tiennent en partie au personnage du détective privé, qui résout ses enquêtes, non sans violents heurts, et déceptions amoureuses pour les amantes qu’il laisse derrière lui. Cynique, buveur, ce « dur à cuire » à l’imperméable et chapeau de feutre, est à la fois l’incarnation d’une classe passée et d’un certain machisme.

Il est évident que lorsque le personnage principal de Bored to Death décide se faire passer pour détective privé, il est fortement influencé par cette figure, comme le prouve sa façon de se vêtir, de se conduire, le pseudonyme qu’il utilise (Philip Marlowe, bien entendu). Cependant, nous sommes ici très loin d’Humphrey Bogart. Jonathan Ames est, par excellence, l’anti détective privé.

Bored to Death - Jason Schwartzman

Il est assez jouissif de voir ce personnage sensible et maladroit, revêtir le costume du privé des années 1930-1940, aujourd’hui dépassé, dans un rôle qui est pour lui démesuré. Alors que Marlowe ou Sam Spade ne sont que stature et professionnalisme, Jonathan Ames penche quant à lui du côté de la faille, et incidemment, de la drôlerie. Si les ratés du personnage peuvent parfois passer pour du pastiche, il n’en reste pas moins que c’est un bel hommage, empreint de nostalgie au genre noir de cette période et à son personnage phare. La série fait la part belle aux clichés du genre, tout en ridiculisant son personnage lorsqu’il s’y essaie (il s’étouffe en buvant du whisky, succombe aux femmes fatales, prend la fuite devant toute forme d’affrontement, etc.). L’assurance qu’il prend au fur et à mesure des épisodes dans ce rôle qu’il s’est lui-même attribué – celui du détective privé, dur à cuire, qu’il n’est en aucun cas, mais dont il revêt l’habit, le trench en l’occurrence – est effective, il devient l’incarnation d’une figure fictive tout en conservant ses propres défauts. C’est précisément ce mélange des genres qui fait le charme de la série, et de son personnage principal, un être si attachant pour le spectateur.




Bored to Death c’est l’invention d’une autre réalité, celle où l’on joue, comme des enfants, à être quelqu’un d’autre, où l’on s’invente en Philip Marlowe ou en super héros, afin de contrer l’ennui, et de se réapproprier le réel. L’alter ego, qu’il soit réel en la présence d’un ami, ou fantasmé, est ici une nécessité.

Jonathan Ames et ses doubles

Derrière les trois saisons délirantes de Bored to Death, il y a l’auteur Jonathan Ames. Son roman graphique Alcoolique, dont l’illustration est de Dean Haspiel, est paru en France il y a quelques mois chez Monsieur Toussaint Louverture, avant cela, deux de ses romans et un recueil d’essais et de nouvelles étaient publiés chez Joëlle Losfeld. Aux Etats-Unis il est connu pour ses chroniques dans le New York Press où il dépeignait à la fois les dessous de son métier de journaliste mais aussi sa vie intime. C’est une des caractéristiques de l’écriture d’Ames, le réel et la fiction ont des limites troubles, ce avec quoi l’auteur ne cesse de jouer, comme par exemple quand il nomme ses personnages fictifs par son propre nom, comme c’est le cas dans Bored to Death. Sans compter d’avoir le même nom, personnages et auteur ont eux aussi souvent en commun les mêmes caractéristiques : juifs, névrosés, maladroits en amour, alcooliques, et d’une autodérision innée.

La série Bored to Death est adaptée d’une nouvelle éponyme, parue dans Une double vie, c’est deux fois mieux (Joëlle Losfeld, 2012), elle en conserve la trame de départ – un homme décide de se faire passer pour un détective privé, et ce passe-temps prend de majeures proportions au sein du cours de sa vie – mais là où la nouvelle plongeait dans un registre profondément noir, l’œuvre  télévisuelle prend elle le parti du comique et de la légèreté.

 

Pour aller plus loin

La série sur le site de HBO.
Alcoolique chez Monsieur Toussaint Louverture.
Les écrits de Jonathan Ames chez Joëlle Losfled.

Bored to Death, quand l'ennui devient fécond - Milieu Hostile

Bored to Death, quand l’ennui devient fécond

Bored to Death - Jason Schwartzman Zach Galifianakis Ted Danson

Écrire un article sur la série Bored to Death, c’est perpétuellement se retenir d’utiliser le terme « génial », que ce soit pour qualifier la série elle-même, ou ses acteurs principaux, Jason Schwartzman, Zach Galifianakis et Ted Danson. Créée en 2009 et arrêtée après trois saisons par HBO, Bored to Death allie l’humour et la culture du fiasco dans un hommage au roman hardboiled, le tout est des plus rocambolesques.

 

Dès le début du premier épisode de la série, Jonathan Ames (Jason Schwartzman), jeune auteur de Brooklyn, passe un mauvais moment. En effet, sa copine est en train de le quitter et de déménager ses affaires, car malgré ses mises en garde, il n’a renoncé ni au cannabis, ni au vin blanc. Confronté à lui même et à son second roman, dont il n’a pas encore rédigé une ligne, il virevolte dans son appartement désormais vide, lit un Raymond Chandler, et pour pallier à son ennui, poste une annonce offrant ses services de détective privé, sans licence, sur internet. En même temps que sa première enquête, le premier épisode présente de façon très classique, le quotidien du personnage principal de la série à son spectateur, lieux, habitudes, mais surtout ses fidèles compagnons, Ray, dessinateur de comics (Zach Galifianakis), et George (Ted Danson), éditorialiste d’un puissant magazine New-Yorkais.

Si la série suit pour chaque épisode une nouvelle enquête de ce détective privé très amateur, il est important de préciser que la résolution de celle-ci est le plus souvent chaotique, et que la présence amicale de Ray et George dans ce contexte, est rarement une aide.

Bored to Death - Jason Schwartzman Zach Galifianakis Ted Danson

Beautiful losers

Le principal ressort comique de la série tient dans le caractère des personnages, et leur inexplicable compétence pour se retrouver dans des situations cocasses et totalement invraisemblables. L’humour de la série tient pour beaucoup de cet humour de situation, mais aussi de l’absurdité des personnages. Car si Jonathan est d’une relative efficacité en tant que détective privé, nous y reviendrons, ses deux acolytes, Ray et George sont eux aussi particulièrement hauts en couleur.

L’un est pauvre, cherche un éditeur pour ses dessins le représentant en super héros au pénis gigantesque, l’autre est classieux, évolue dans des hauts et beaux milieux, mais tous deux ont en commun une certaine incompétence et une douce folie. Concrètement ce sont des branquignols. Au charme fou.

Bored to Death Ray Dean Haspiel
Crédit Dean Haspiel

Tous trois partagent une certaine immaturité qui les rend incompétents face au monde dans lequel ils vivent, ils y évoluent en hommes-enfants, risibles mais attachants malgré leurs failles. Leur manque de confiance en eux les rend aussi particulièrement inaptes aux relations amoureuses, le prouvent les multiples échecs qu’ils accumulent chacun dans ce domaine.
En somme, ils forment une équipe de losers, qui a pour elle sa loufoquerie, mais aussi la relation qui les unit tous trois, une belle et sincère amitié, qui constitue une qualité de la série, si bien qu’en tant que spectateur on a envie de faire partie de leur bande.

Il est essentiel de saluer le casting de la série, les trois rôles principaux ne pourraient être aussi parfaits sans les acteurs qui les interprètent, à savoir, Jason Schwartzman dont la sensibilité sert superbement le personnage de Jonathan Ames, Zach Galifianakis en grincheux Ray, et le génial Ted Danson qui campe George.

Bored to Death - Jason Schwartzman Zach Galifianakis Ted Danson

Bored to Death, est la démonstration que l’ennui peut être créatif, voire récréatif. Il faut voir l’énergie que mettent en place les personnages de la série pour échapper au paisible et moribond de leur propre vie, et aussi à leurs responsabilités. Ce n’est pas tant que leur quotidien est insupportable, mais plutôt qu’ils y sont inaptes, alors tant qu’à devoir affronter la réalité, autant le faire par le biais d’une double vie.

Et quelle double vie aussi excitante que celle de détective privé ?

Le personnage de Jonathan Ames décide de proposer ses services de détective privé, après la lecture de Farewell my Lovely de Chandler. L’auteur comme le privé qu’il met en scène, Philip Marlowe, sont tous deux des représentants les plus importants du roman américain hardboiled. Les caractéristiques principales de ce type de roman noir tiennent en partie au personnage du détective privé, qui résout ses enquêtes, non sans violents heurts, et déceptions amoureuses pour les amantes qu’il laisse derrière lui. Cynique, buveur, ce « dur à cuire » à l’imperméable et chapeau de feutre, est à la fois l’incarnation d’une classe passée et d’un certain machisme.

Il est évident que lorsque le personnage principal de Bored to Death décide se faire passer pour détective privé, il est fortement influencé par cette figure, comme le prouve sa façon de se vêtir, de se conduire, le pseudonyme qu’il utilise (Philip Marlowe, bien entendu). Cependant, nous sommes ici très loin d’Humphrey Bogart. Jonathan Ames est, par excellence, l’anti détective privé.

Bored to Death - Jason Schwartzman

Il est assez jouissif de voir ce personnage sensible et maladroit, revêtir le costume du privé des années 1930-1940, aujourd’hui dépassé, dans un rôle qui est pour lui démesuré. Alors que Marlowe ou Sam Spade ne sont que stature et professionnalisme, Jonathan Ames penche quant à lui du côté de la faille, et incidemment, de la drôlerie. Si les ratés du personnage peuvent parfois passer pour du pastiche, il n’en reste pas moins que c’est un bel hommage, empreint de nostalgie au genre noir de cette période et à son personnage phare. La série fait la part belle aux clichés du genre, tout en ridiculisant son personnage lorsqu’il s’y essaie (il s’étouffe en buvant du whisky, succombe aux femmes fatales, prend la fuite devant toute forme d’affrontement, etc.). L’assurance qu’il prend au fur et à mesure des épisodes dans ce rôle qu’il s’est lui-même attribué – celui du détective privé, dur à cuire, qu’il n’est en aucun cas, mais dont il revêt l’habit, le trench en l’occurrence – est effective, il devient l’incarnation d’une figure fictive tout en conservant ses propres défauts. C’est précisément ce mélange des genres qui fait le charme de la série, et de son personnage principal, un être si attachant pour le spectateur.




Bored to Death c’est l’invention d’une autre réalité, celle où l’on joue, comme des enfants, à être quelqu’un d’autre, où l’on s’invente en Philip Marlowe ou en super héros, afin de contrer l’ennui, et de se réapproprier le réel. L’alter ego, qu’il soit réel en la présence d’un ami, ou fantasmé, est ici une nécessité.

Jonathan Ames et ses doubles

Derrière les trois saisons délirantes de Bored to Death, il y a l’auteur Jonathan Ames. Son roman graphique Alcoolique, dont l’illustration est de Dean Haspiel, est paru en France il y a quelques mois chez Monsieur Toussaint Louverture, avant cela, deux de ses romans et un recueil d’essais et de nouvelles étaient publiés chez Joëlle Losfeld. Aux Etats-Unis il est connu pour ses chroniques dans le New York Press où il dépeignait à la fois les dessous de son métier de journaliste mais aussi sa vie intime. C’est une des caractéristiques de l’écriture d’Ames, le réel et la fiction ont des limites troubles, ce avec quoi l’auteur ne cesse de jouer, comme par exemple quand il nomme ses personnages fictifs par son propre nom, comme c’est le cas dans Bored to Death. Sans compter d’avoir le même nom, personnages et auteur ont eux aussi souvent en commun les mêmes caractéristiques : juifs, névrosés, maladroits en amour, alcooliques, et d’une autodérision innée.

La série Bored to Death est adaptée d’une nouvelle éponyme, parue dans Une double vie, c’est deux fois mieux (Joëlle Losfeld, 2012), elle en conserve la trame de départ – un homme décide de se faire passer pour un détective privé, et ce passe-temps prend de majeures proportions au sein du cours de sa vie – mais là où la nouvelle plongeait dans un registre profondément noir, l’œuvre  télévisuelle prend elle le parti du comique et de la légèreté.

 

Pour aller plus loin

La série sur le site de HBO.
Alcoolique chez Monsieur Toussaint Louverture.
Les écrits de Jonathan Ames chez Joëlle Losfled.