Duane Swierczynski était invité au printemps de cette année 2025 au festival Quais du Polar pour la sortie de L’Ours de Californie (Rivages). L’occasion pour nous de le rencontrer – enfin, quinze ans après The Blonde, l’auteur venait en France pour la première fois.
Tout heureux, on a révisé les quelques rares formules de politesses que nous connaissions en polonais – Dzień dobry Panu. Jak się masz? – mais peine perdue, Duane Swierczynski nous a confié ne pas parler polonais… Alors nous avons continué avec notre anglais chaotique, mais nous y sommes arrivés – il faut dire que l’homme est charmant.
Entre 2005 et 2016, on se demande combien d’heures vous dormiez par jour tant votre bibliographie regorge de titres. Auriez-vous eu une légère tendance insomniaque ?
Ha, drôle de remarque. Non, j’avais un travail de jour lorsque j’ai commencé à écrire. J’étais journaliste. Je travaillais toute la journée, je rentrais à la maison, je dînais en famille, je couchais les enfants et je restais tard à écrire. Et je buvais. Et le lendemain matin, j’avais la gueule de bois, j’allais travailler et je recommençais (rires). Je n’ai pas eu de « vrai » travail depuis 2008, car je suis devenu freelance. C’est vrai que ça fait longtemps que j’ai ce rythme. Je n’ai toujours pas de vie, c’est sûr, mais c’est okay.
On vous découvre en France avec The Blonde, qui est votre troisième roman, mais pour une découverte, c’était une découverte ! D’où vous est venue cette idée de nuit de folie ?
Oh, merci beaucoup. En fait, l’idée vient de mon précédent livre, un roman de braquage qui s’appelle À toute allure. J’étais dans un bar de l’aéroport de Lax lors d’une tournée promotionnelle et je me suis dit que ce serait bizarre si quelqu’un se penchait vers moi et me disait : « Hé, j’ai empoisonné votre verre. » J’adore l’idée d’être piégé quelque part. Dans un aéroport, on est en quelque sorte piégé, à la merci de l’avion, du personnel et de tout le reste. C’est de là qu’est venue l’idée. La petite tournée du livre s’est donc transformée en ce roman-là.
C’est marrant que vous parliez de A toute allure, car lui et The Blonde sont deux pulps bourrés d’actions et de références…
Mon tout premier roman était un roman de genres croisés qui s’appelait Secret Dead Men. Il s’agissait d’un mélange de science-fiction et roman policier. Il a été difficile à vendre… Il ne s’est pas vendu. Je me suis donc dit « La prochaine fois, je ne ferai qu’un seul genre à la fois. » Un pur roman de casse. Je lisais beaucoup de romans de Richard Stark, la série Parker et d’autres livres de braquage, et je me suis dit que je pourrais faire ça. En même temps, j’avais écrit un livre de non-fiction sur les braquages de banque. C’était juste pour l’argent. En fait, j’avais une idée pour braquer ma propre banque à Philadelphie et je n’arrivais pas à me la de la tête. C’est devenu l’intrigue de À toute allure. Quand j’y repense, je me dis que c’est toujours un bon plan. Il pourrait fonctionner (sourire).
Mis à part votre dernier livre, L’Ours de Californie, tous vos romans sont une formidable cartographie de Philadelphie, de ses quartiers, des habitants, de leurs habitudes…
Oh oui, c’est ma ville natale. Je pense qu’elle est peu représentée dans les romans policiers. Je suis un grand fan de David Goodis. Il a beaucoup écrit sur Philadelphie, mais personne ne l’a vraiment fait après. Je me suis donc dit qu’il fallait s’y mettre. Ma règle est toujours que si vous cherchez un livre et que vous ne le trouvez pas, vous devriez l’écrire. Allez-y, faites-le. Je voulais vraiment rendre hommage à ma ville. Et je crois beaucoup au fait qu’il faut connaître un endroit pour écrire dessus. Je viens d’arriver à Lyon et je sais que j’aurais un jour une histoire qui s’y déroulera – c’est déjà si fascinant après juste quelques heures. Mais c’est à Philadelphie que mon imagination est allée jouer. Je peux y voir des scènes d’action se dérouler et voir, par exemple, où se déroulerait un casse. Je peux voir toutes ces choses. C’est juste que ce serait difficile pour moi de le faire dans une ville inventée. Donc Philadelphie. C’est ce que je connais le mieux. Quand j’ai déménagé à Los Angeles il y a neuf ans, j’ai beaucoup arpenté la ville et j’ai appris son histoire, ses quartiers. Et un jour, je me suis dit que j’étais prêt à écrire un peu dessus. Mon prochain roman se passe dans plusieurs endroits différents, à Philadelphie et à Los Angeles. Mais je suis aussi en train de rédiger un livre de non-fiction qui se passe à Philadelphie. Je n’ai donc pas tout à fait quitté la ville.
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Et pour ce faire, on sent la forte documentation. Quelle est votre méthode de travail ? Vous parlez dans la postface de Revolver « d’un tableau de liège recouvert de fiches bristol ».
Oui, l’intrigue de Revolver était tellement complexe que j’ai dû la cartographier. La recherche, pour moi, c’est la partie la plus amusante. J’aime faire des recherches dans les archives des vieux journaux. Je fais aussi des repérages, comme pour un film. Je vais me promener dans les quartiers. Pour Canari, je devais trouver un bon endroit, un endroit plausible, pour se débarrasser d’un cadavre. J’en ai trouvé un près de la rivière Delaware à Philadelphie. Et c’était le meilleur. C’est là que je me suis le plus amusé. J’ai passé deux jours à marcher le long de la rivière. Où pouvais-je mettre un corps ? Oh, ici, je sais… C’est le plaisir de ce travail.
Lorsque j’étais journaliste et que je parlais aux policiers, ils étaient très silencieux parce qu’ils ne voulaient pas parler à un journaliste. Mais si vous leur dites que vous êtes un auteur de romans policiers, ils vous diront n’importe quoi. Ils vous diront même des choses que vous ne devriez pas savoir (rires). C’est cool d’être un auteur de fiction, un romancier, et de faire des recherches parce que les gens vous parlent beaucoup plus facilement et librement – j’adore ça. En fait, j’aime tellement la recherche qu’elle m’empêche parfois d’écrire (sourire).
Il y a aussi des connexions entre différents personnages de différents livres – par le biais de la famille, souvent – vous avez un arbre généalogique de tous vos personnages dans votre bureau ?
Oui. Vous avez vu des films où les personnages « traversent » les films ? Comme dans Jackie Brown de Quentin Tarantino, où le personnage de Michael Keaton est un agent. Il apparaît également dans le film Hors d’atteinte de Steven Soderbergh. Ces deux films, que j’aime, sont tirés de deux romans d’Elmore Leonard, que j’aime également. Mais ils sautent d’un personnage à l’autre. J’adore cela. Il y a quelques années, un agent pour le cinéma et la télévision m’a dit : « Ne fais pas ça, c’est un cauchemar pour les droits. » C’est vrai. On ne doit pas le faire, mais c’est tellement amusant, que je veux le faire. J’ai écouté mon agent. Mais je ne peux pas m’empêcher de le faire, parce que c’est drôle. J’adore jouer avec les lecteurs.
Ce qui frappe également, c’est l’art de la construction. Qu’importe le registre, les personnages ou les histoires, tout est parfaitement ficelé. Êtes-vous un adepte des plans rigoureux ?
Oh, bonne question. J’aimerais bien. Honnêtement (sourire). Quand je commence à écrire et que j’ai un bon plan, je le modifie toujours parce que je me dis « oh, chouette idée » et qu’il faut que je la suive. Et à un moment donné, je me dis, oh mince, pourquoi j’ai fait ça ? Et à la fin, je travaille dur pour tout remettre en place. Cela semble donc planifié. Mais honnêtement, c’est comme si je me forçais à tout planifier, mais à la fin. J’aime bien ficeler les choses. Donc, encore une fois, je planifie, mais les plans tombent toujours à l’eau, tout le temps, sérieusement… Ce n’est jamais ce que vous pensez (sourire).
J’avais besoin de temps pour m’y habituer, pour apprendre à connaître les personnages un peu plus. J’ai donc vraiment essayé de ralentir. Un peu comme lorsqu’un groupe de trash punk décide de faire un album lent.
Vos livres sont aussi marqués par l’humour et l’attachement aux personnages – souvent indissociables des lieux où ils évoluent.
Oh oui, l’humour. Je suis un grand fan de Donald Westlake et d’Elmore Leonard. Vous savez, ces types utilisent l’humour. Ce n’est pas du genre haha, stupide, fou, comme une comédie ridicule. C’est plutôt, ironique ou juste pince-sans-rire. J’adore l’humour pince-sans-rire. C’est comme si je ne devrais pas rire de ça, mais c’est drôle, vous voyez ce que je veux dire ? C’est un humour vraiment sinistre. Je pense qu’il est important, dans le roman noir d’avoir ces moments-là. Sinon, vous allez vous faire sauter la cervelle. Pour mon dernier livre, L’Ours de Californie, j’avais vraiment l’intention d’écrire un livre drôle, mais il est devenu sombre et triste. Mais l’humour reste important. C’est en quelque sorte ce qui m’a sauvé. Je pense que ça m’a permis de me dire que je pouvais encore faire ça, parce que si je n’avais pas d’humour, ce serait beaucoup trop triste et ça semblerait trop sérieux. C’est comme une recette. Vous voulez un peu de salé, un peu de sucré ? OK. Il faut du sucré avec du salé ou de l’amer. Ça, c’est plus ou moins ma théorie. En plus, parfois, je ne sais pas comment être sérieux. C’est dans ma nature. Je suis introverti. Mon mécanisme de défense naturel est donc de faire rire d’une manière ou d’une autre. C’est mon objectif dans la vie et dans les livres. Si je suivais une thérapie, j’arrêterais probablement (rires).
Pour préparer cette interview, nous nous sommes concentrés sur les romans que vous appelez « la trilogie de ma fille » : Canari, Revolver et L’Ours de Californie.
Canari
D’où est arrivée Sarie Hooland et « son vrai talent pour s’attirer les ennuis » ?
Le nom du personnage vient de ma fille. En fait, ma fille est née sous le nom de Sarah Evelyn. Elle n’aimait pas Sarah. Au bout d’un moment, elle l’a changé. Elle a commencé à utiliser Evelyn et Evie pour faire court. Je me suis dit « Tu n’en veux pas ? Je vais l’utiliser ». Parce que le personnage est modelé sur elle. J’ai écrit le livre quand elle avait dix ou onze ans, et j’ai essayé de l’imaginer plus âgée, à l’université, et comment elle serait, tout aussi intelligente et compatissante. C’est pourquoi j’ai donné son nom à ce personnage. Et oui, je veux dire, je pense que s’attirer des ennuis, c’était son truc aussi. C’est vrai. Bonne observation (sourire).
Je n’ai aucun mérite, c’est un des personnages qui le dit… Ce livre est aussi une formidable histoire familiale, dont vous dites en postface « c’est une histoire de famille et je n’aurais pas pu l’écrire sans la mienne ».
Oui, c’était un grand livre. En fait, c’est le premier livre dans lequel j’ai vraiment adopté l’idée de la famille. Maintenant, c’est la chose la plus importante pour moi dans un livre, même si ce n’est pas une famille de sang. Vous savez, une famille de création. Pour moi, l’interaction des personnages est vraiment fascinante. Vous traversez la vie, vous pouvez aimer vos parents, vous pouvez ne pas les aimer beaucoup, mais vous vous rassemblez avec des gens, avec vos amis, des gens dont vous êtes proches. C’est votre famille inventée, votre famille fabriquée. Et je me rends compte que dans les livres, c’est celle qui m’attire. Même les films d’action stupides en parlent. Vous connaissez la série de films L’Arme fatale ? Mel Gibson, Danny Glover… Je ne plaisante pas (sourire). Cela peut paraître idiot, mais à la fin, au quatrième film, on s’aperçoit que les films ne parlent que de cela. Oh, il s’agit d’une famille qui se réunit. Une famille bizarre composée de deux flics et d’un escroc. Qu’est-ce que c’est ? C’est une famille. Et c’est fascinant. Pour moi, c’est devenu l’ingrédient secret de ce que je fais. Et évidemment, ma propre famille a été la source d’inspiration.
C’est un polar dans lequel vous avez pris le temps d’installer le décor et l’intrigue…
Oui, c’est une excellente observation. C’était une décision très consciente de faire cela. Ralentir, laisser les personnages grandir et voir ce qu’il se passait. Avant, ma théorie était que j’avais toujours peur d’ennuyer le lecteur. Alors c’était bang, bang, juste de l’action, de l’action et de la folie. Je me suis dit, d’accord, laissons les personnages respirer. Vous savez, dans ce livre en particulier, ce qui est amusant pour moi, c’est qu’il n’y a pas vraiment de méchants. Il y a des méchants certes, mais les personnages principaux pensent qu’ils font ce qu’il faut pour eux. Mais ils s’affrontent. Ils ne font pas toujours ce qu’il faut pour l’autre. Et ça, j’avais besoin de temps pour m’y habituer, pour apprendre à connaître les personnages un peu plus. J’ai donc vraiment essayé de ralentir. Un peu comme lorsqu’un groupe de trash punk décide de faire un album lent (rires). J’ai donc eu envie de changer un peu et de voir ce que ça donnait.
Revolver
Pour nous, c’est un chef d’œuvre, l’archétype du roman noir réussi.
Waouh.. Merci, merci…
Là aussi, c’est une formidable histoire familiale, mais de flics et sur trois générations…
Oui, les trois histoires, les trois périodes, les personnages, les relations, la famille, l’immigration… C’était… Vraiment dur.
Avez-vous vu True Detective, la série de HBO ? J’adore cette série. Il y avait deux pistes temporelles, et à l’épisode quatre ou cinq je crois, le passé a disparu et il n’y avait plus que le présent. Je me suis dit, oh, non, c’est de l’arnaque. J’avais vraiment hâte de voir comment ça allait faire avec ces deux lignes temporelles. Alors je me suis dit, d’accord, je vais faire encore mieux. Je vais avoir trois lignes temporelles. Et mon but était que tout se termine à la fin. Comme une explosion dans le passé, dans le passé proche et dans le présent. Et si j’avais bien fait mon travail, tout s’entrechoquerait et exploserait sur trois lignes temporelles, ce qui est noble, mais… C’était difficile à écrire. Ça a été vraiment dur.
Alors parlez-nous de tout ça, l’immigration polonaise (beaucoup moins décrite dans les polars que l’immigration italienne ou irlandaise), les flics, Philadelphie et toutes ses histoires…
Oui. Des histoires classiques, peu racontées. Je me demande pourquoi. J’étais curieux de ce sujet. J’ai fait plus de recherches sur ma famille, et ce qui est étrange, c’est que personne n’en parle. Je suis un Américain d’origine polonaise de troisième génération, et personne ne parle de la façon dont nous avons atterri ici. J’ai été choqué d’apprendre cela. Je suis un citadin, j’aime les villes, mais je viens d’une famille d’agriculteurs. Mes arrière-grands-parents étaient agriculteurs en Pologne. Je me demande comment c’est arrivé. Qu’est-ce qui les a poussés à partir, à venir en Amérique et à faire tout ça ? Ce genre de choses m’a fasciné et j’ai voulu m’en inspirer.
Revolver, c’est une histoire de crime, mais c’est aussi comme une explication de comment ces différents quartiers se sont affrontés. Mon grand-père, avant de mourir, m’a dit : « Tu sais, ce petit quartier de South Philly, le sud de Philadelphie, c’est un peu le nôtre… »Je ne sais pas comment le décrire. South Philly, c’était un quartier d’immigrés difficile et tumultueux. Il y avait des Polonais, des Italiens, des Irlandais. Ils se sont tous battus. Et j’adore ce genre d’histoires, vous savez, comment cela s’est produit. Ils vivent par rue, et si tu traverses la mauvaise rue, tu vas te faire tabasser. Ce genre de choses me fascinait, et je voulais que ça figure dans le livre.
Je travaille actuellement sur un livre de non-fiction, qui traite de ce sujet et je suis en train de faire plus de recherches en ce moment.
L’Ours de Californie
À la lecture du roman, on sentait bien que quelque chose vous reliait à « L’apprentie détective »… et on espérait, sans trop y croire, une fin heureuse… Je veux bien que vous nous donniez les motivations personnelles de ce roman dont les deux derniers paragraphes de la postface sont très émouvants – On peut dire que cette postface nous a tordu le cœur.
Merci beaucoup. Quand le livre a commencé, Evie n’en faisait pas partie. Je veux dire que j’ai commencé à l’écrire dans la chambre d’hôpital de ma fille comme un moyen de m’évader et de raconter honnêtement une histoire mystérieuse et amusante. Et plus je suis entré dans ce livre et plus j’ai réalisé qu’elle en faisait partie. Et le personnage qu’elle a inspiré a surgi. D’un coup je me suis dit qu’elle était la meilleure personne pour être au milieu de tout ça, parce qu’elle est la seule vraie détective intelligente. Les deux autres sont des crétins. L’un est un ancien escroc qui n’est pas du tout dans le crime, l’autre pense qu’il est génial. Il ne l’est pas. C’est un raté.
J’avais donc besoin d’un vrai détective quelque part. C’était une surprise. La première version, les cinquante premières pages que j’ai écrites du livre étaient toutes à la première personne, d’un seul point de vue. C’était pas mal, mais il fallait quelque chose d’autre. Et j’ai changé de point de vue.
Et on se retrouve avec une « apprentie détective », à l’aise, derrière son ordinateur, qui résout pas mal de choses sans sortir de sa chambre…
Oui, c’est vrai. C’est ainsi que beaucoup d’entre eux sont aujourd’hui. On les appelle des limiers en fauteuil ou des limiers informatiques. Ils se contentent de consulter des dossiers et de trouver ce qu’ils ont besoin de trouver. C’est un peu ennuyeux. Pas aussi excitant que le Philip Marlowe de Raymond Chandler, armé d’un pistolet, qui mène une enquête…. Mais je pensais que ça collait à la réalité, à la façon dont les choses sont faites aujourd’hui.
Quand le livre a commencé, Evie n’en faisait pas partie. […] Le personnage qu’elle a inspiré a surgi. D’un coup je me suis dit qu’elle était la meilleure personne pour être au milieu de tout ça, parce qu’elle est la seule vraie détective intelligente. Les deux autres sont des crétins.
Avec votre femme, Meredith, vous avez créé The Evelyn Swierczynski Foundation.
Bien sûr. En l’honneur de notre fille. Chaque année, nous organisons une collecte de fonds. Nous faisons des collectes de sang pour l’hôpital pour enfants de Los Angeles, et nous faisons une collecte de livres. Evie était, allez savoir pourquoi, comme son père, une grande lectrice. Chaque année, nous collectons de l’argent pour acheter des livres pour l’hôpital pour enfants de Los Angeles. Ils ont ce programme génial où ils amènent un chariot tous les jours et où chaque enfant malade reçoit un livre gratuit par jour, quoi qu’il arrive. Et plus il y a de livres parmi lesquels ils peuvent choisir, mieux c’est, je pense. Il était donc très important pour nous de faire cela en sa mémoire. C’est quelque chose de positif à faire. Vous savez, perdre un enfant, c’est horrible, je ne le souhaite à personne. Mais vous voulez faire quelque chose. Ma plus grande inquiétude était que je ne vais pas vivre éternellement, quand je serai parti, qui se souviendra de son nom ? Je veux que son nom survive au-delà de moi, de ma femme et de sa mère. C’était donc important pour moi, qu’on se souvienne d’elle au moins, parce qu’elle était spéciale. Tous les pères le pensent, je sais, mais j’ai pensé que c’était ce qu’il fallait faire, que c’était ce qui était important, et c’est notre façon de le faire.
L’Ours de Californie est votre premier polar hors Philadelphie. En préparant cette interview, nous avons lu que vous aviez quitté Philadelphie pour la Californie. Étrange pour un homme si attaché à sa ville, non ?
Et bien c’était surtout pour travailler à Hollywood, pour le cinéma et la télévision. Pendant des années, j’ai entendu dire « qu’il fallait y être » pour que ça marche. Et le plus drôle, c’est que j’ai fini par m’y installer, et j’ai pu y travailler, mais ensuite le COVID est arrivé, stoppant tout. Et tout d’un coup, après le COVID, on pouvait être basé n’importe où (rires). Mais, heureusement, j’aime vraiment Los Angeles. C’est fascinant. Philadelphie me manque. Mes amis me manquent. En fait, j’y retourne le mois prochain, parce que je fais des recherches et que mes amis me manquent… Philadelphie est vraiment unique. Si vous êtes à Lyon, vous avez l’impression que c’est unique, irremplaçable. Philadelphie est, pour moi, irremplaçable dans mon esprit. Je pense donc que j’écrirai toujours à ce sujet. Mais LA est particulière. Beaucoup d’écrivains écrivent sur LA. Ellroy, Michael Connelly ont beaucoup écrit sur cette ville. C’est bien couvert, mais je pense que la clé pour moi est d’essayer de trouver des endroits qui n’ont pas été décrits dans un livre auparavant, comme des petits coins bizarres qui n’ont peut-être pas été vus. Cela me permet de m’amuser et d’écrire sur ma ville d’adoption d’une manière qui me semble nouvelle. Mais est encore tôt pour en parler, nous verrons bien ce que cela donne.
Comme vous dites « Le projet de California Bear était de pousser un coup de gueule contre l’industrie du true crime. » En France aussi, ce phénomène ne cesse de se développer.
Dans le true crime, nous voyons le désespoir des gens, c’est vrai. Et c’est un divertissement, non ? [L’idée du livre] a été en partie inspirée par un documentaire de Netflix. C’était drôlement bien fait. On voyait comment se sentaient les gens et je me suis dit « Oh, wow, c’est incroyable. » Puis : « Qu’est-ce que je regarde ? Je regarde la pire journée possible de quelqu’un. » Je ne dis pas que ça ne devrait pas exister. Bien sûr que non. Mais c’est nauséeux, bizarre. Je m’interroge sur ma propre réaction. Pourquoi est-ce que je regarde ça ? Est-ce que je l’apprécie pour de mauvaises raisons ou suis-je fasciné par l’histoire ? C’est ce que j’ai essayé de faire. Chaque fois que je me sens ambivalent ou mal à l’aise, j’écris sur le sujet pour savoir ce que je ressens vraiment.
Dans la postface de Revolver, vous dites « Cela fait plus de sept ans que je poursuis des recherches sur le Philly du temps de la prohibition pour l’écriture d’un roman que j’espère terminer avant de mourir »… Est-ce toujours d’actualité ?
Peut-être. Bien que cela ait changé. En ce moment je suis sur un livre de non fiction. Après avoir perdu Evie, une coïncidence bizarre s’est produite. J’ai découvert mon arbre généalogique. Mon arrière-grand-père a perdu sa fille de 15 ans, le même âge qu’Evie. En octobre 1918. C’était la pandémie de grippe. Nous avons perdu Evie exactement 100 ans plus tard, le même mois. Mark Twain a dit que l’histoire ne se répète pas, mais qu’elle rime. Vous savez, quelle étrange coïncidence que cet arrière-grand-père, que je n’ai jamais rencontré, ait vécu la même chose.
Six mois plus tard, j’ai découvert que j’ai eu un parent dont le cousin, comme celui de mon arrière-grand-père, était policier à Philadelphie. Il a été abattu par un gangster dans South Philly. Deux découvertes en l’espace de six mois. Je me suis dit que j’étais en train d’écrire un livre sur cette période alors que je traversais ma propre période de deuil et que j’essayais de comprendre de quoi il s’agissait. Ce morceau d’histoire familiale dont on n’a jamais parlé. Le pire, c’est que le gangster qui a tué ce membre de ma famille, il est en fait très amusant. S’il n’avait pas tué un parent, il serait mon héros. Il est excellent. C’était un faussaire, un bigame, un trafiquant de drogue, un trafiquant d’alcool. Il a été le premier mouchard de la mafia à Philadelphie. C’est un type fascinant. Vous avez en tête le film Les Affranchis de Martin Scorsese ? Et bien ce tueur ressemblait au personnage de Joe Pesci. J’écris donc ce livre, qui s’intitule Un homme plein d’ennuis, sur ce gangster. Mais c’est aussi à propos de moi qui suis plein d’ennuis, qui traverse ce que je traverse, et qui utilise l’histoire comme un moyen de traiter le chagrin, je suppose. Je ne sais pas. Pour moi, regarder le passé vous rassure un peu, comme si vous n’étiez pas la seule personne à avoir vécu cela. En fait, les choses ont probablement été bien pires pour la plupart des gens dans le passé. Nous avons de la chance à bien des égards, mais il est utile d’avoir cette résonance. Nous ne sommes pas seuls. La famille a survécu à toutes ces choses horribles, et nous sommes toujours en train de faire les imbéciles et d’écrire à ce sujet aujourd’hui.
Pour finir, en France, tous vos polars publiés chez Rivages sont traduits par Sophie Aslanides, avec qui nous étions il y a peu, c’était la première fois que vous la rencontriez ? Comment travaillez-vous avec elle ?
Par e-mail, tout le temps. Nous échangons des mails, elle me pose des questions et je lui réponds. Je lui explique des trucs bizarres de Philadelphie. Elle a été géniale. J’ai été très heureux de la rencontrer il y a deux heures, pour la première fois en chair et en os. Elle est merveilleuse. J’étais tellement content quand j’ai su que c’était elle qui avait traduit L’Ours de Californie. En plus, ils se concentrent particulièrement sur la traduction…
Oui, c’est le crédo de cette collection créée par François Guérif.
Bien avant d’être publié par eux, je connaissais la ligne éditoriale et j’étais tellement jaloux. Il faut que j’apprenne à lire le français parce qu’il y a tellement de bons livres que je dois vraiment lire. J’ai aussi remarqué qu’ils publiaient beaucoup de mes héros et Jim Thompson ou David Goodis. Honnêtement, c’est excitant de faire partie de la maison, d’être une partie de la lignée.
Merci à Marie Wodrascka et Thierry Corvoisier.
Pour aller plus loin
Tous les romans cités de Duane Swierczynski sont publiés chez Rivages et, comme vous avez pu le lire, traduits par Sophie Aslanides.