Interview avec Andrée A. Michaud : Bondrée et Lazy Bird

Andrée A. Michaud - Bondrée - Lazy Bird - Rivages

L’auteure québécoise Andrée A. Michaud revient avec nous sur sa carrière, de Lazy Bird à Tempêtes, son dernier roman, en passant par Bondrée.

Nous avions rencontré Andrée A. Michaud il y a deux ans au festival America. Nous avions animé deux rencontres avec elle et cherchions le bon moment l’interviewer. La sortie de Tempêtes, roman marqué par les éléments et la folie, nous a semblé le bon moment. Il contient tous les éléments marquants de l’œuvre de l’auteure : les lieux, le temps, la psychologie des personnages.

Dans cette première partie de l’interview, nous reviendrons avec  Andrée A. Michaud sur ses éditeurs et ses romans Bondrée et Lazy Bird.

Deux éditeurs

Vous êtes québécoise et vos livres sont naturellement publiés au Québec avant d’être repris par d’autres éditeurs en France… comment cela se passe-t-il ?
Je ne connais pas tous les détails de ce type d’arrangement, car je ne prends pas part aux négociations relatives à la signature des contrats. Ce sont mes deux éditeurs, en l’occurrence Québec Amérique et Rivages, qui fixent les termes de ces contrats. Dans le cas de Bondrée, le premier de mes romans à avoir été publié par Rivages, Québec Amérique, si je ne m’abuse, avait présenté le texte à Rivages, et c’est François Guérif qui, à l’époque, avait décidé de demander les droits de publication pour la France.Andrée A. Michaud - Lazy Bird - Québec Amérique - Seuil - Milieu Hostile

Quels rapports entretenez-vous avec vos éditeurs québécois (que vous remerciez longuement en fin de Tempêtes) et français ?
Québec Amérique et Rivages sont deux éditeurs magnifiques et je m’estime privilégiée de pouvoir travailler avec eux. J’entretiens d’ailleurs des rapports très cordiaux, pour ne pas dire amicaux, avec tous les gens, au sein de ces deux équipes, que je suis appelée à côtoyer. Par exemple, une fois que j’ai remis mon manuscrit à mon éditeur québécois, un véritable travail d’équipe s’amorce (relectures, révision linguistique, choix d’une illustration pour la couverture, préparation de la campagne de presse, etc.), et cela se fait toujours dans la bonne entente et le respect mutuel. La même chose se produit chez Rivages, nous travaillons de concert afin de donner au roman le plus de chances possibles d’atteindre son lectorat, et je prends un plaisir fou à travailler avec la gang de Rivages, pour le dire en bon québécois, qui m’a dès le départ accueillie à bras ouverts.

Lire aussi : Interview Éric Plamondon : Des minorités en lutte pour leur survie

 

Percevez-vous un accueil différent de vos livres entre Québec et France ?
Il y a en effet des différences notables entre le Québec et la France quant à la réception de mes romans. Je pense entre autres à tout ce qui touche à la langue et à la réalité québécoises, de même qu’à leur inscription dans la culture nord-américaine. Pour un lecteur québécois, ces particularités vont de soi, alors qu’ils se teintent d’un certain exotisme pour le lecteur français.

La question de la langue

Que ce soit dans Bondrée, entre un protagoniste qui ne parle pas québécois et qui le vit mal ou dans Lazy Bird, vous abordez régulièrement la question de la langue, des rapports entre français et anglais… Vous nous en dites plus sur cette préoccupation ?
J’ai abordé ce thème dans trois de mes romans, Bondrée, Lazy Bird et Mirror Lake, qui forment ce que je nomme ma trilogie états-unienne, en ce sens que ces trois romans se passent dans des états partageant une frontière avec le Québec ou se situent à la frontière même entre le Québec et les États-Unis. Dans les trois cas, j’y aborde la question de la langue, qui nous amène inévitablement à ce qui distingue la culture québécoise de la culture états-unienne, mais aussi aux points communs entre ces deux cultures qui participent d’une nord-américanité qui, pour moi, est fondamentale. La question de la langue, pour une francophone vivant en Amérique du Nord, est une question qu’il est impossible de ne pas se poser quand on s’interroge sur son identité et son appartenance. Mettre en parallèle ces deux langues et ces deux identités par l’entremise de la fiction me permet de m’inscrire à la fois dans ma culture québécoise, avec tout ce qui la caractérise, mais aussi, plus globalement, dans la culture nord-américaine.

Andrée A. Michaud - Bondrée - Lazy Bird - Rivages - Milieu Hostile

Ce qui marque chez vous, c’est votre style, si particulier « un foisonnement de mots et de sens qui peut tout à fait désorienter » comme le dit si bien Philippe Cottet. Comment travaillez-vous ce style ?
Je crains de n’avoir aucune réponse claire à cette question. Disons d’abord que je retravaille beaucoup mes textes et qu’avant la version finale, je peux accumuler quatre, cinq ou six versions, elles-mêmes maintes fois remaniées. Je m’inspire beaucoup, également, de ce que d’autres ont appelé avant moi l’esprit des lieux, car les lieux, vous l’aurez remarqué, occupent une place primordiale dans mon univers. Ce qui compte avant tout pour moi, c’est de m’imprégner de l’esprit des lieux que je choisis, de les appréhender avec mes sens en évitant dans un premier temps toute forme de rationalisation dans mon rapport aux éléments qui fondent ces lieux. Vient ensuite le travail plus rationnel, l’échafaudage de la structure, le maillage des différentes parties du roman, l’introspection nécessaire à l’appréhension de mes personnages, etc.

La musique et le cinéma

Nous vous découvrons en France avec Lazy Bird, un livre aux multiples références (Clint Eatswood dans Play Misty for me, des allusions à Sam Shepard, David Mamet, Edward Hopper, John Carpenter, Stephen King…). Vous pouvez nous en dire plus ?
Cette question rejoint celle de mes préoccupations concernant la culture nord-américaine et les références culturelles que nous partageons, au Québec, avec nos voisins du sud. Ces références sont une façon, pour moi, de m’ancrer dans cette culture et de la définir. Elles me permettent aussi, si l’on veut, de prêter à mes personnages une culture qui se rapproche de la mienne et d’orienter leurs intérêts cinématographiques, musicaux, picturaux ou autres en fonction des miens.

Mes références à la musique sont des instruments dont je me sers pour définir ma culture ou celle de mes personnages.

Le jazz y est naturellement omniprésent…
J’ai choisi en effet de faire du personnage principal de Lazy Bird un amateur de jazz, entre autres à cause de la référence ouverte au film de Clint Eastwood, Play Misty for Me, où le jazz est très présent, et parce que le jazz est une musique qui s’accorde bien avec la nuit, durant laquelle se déroulent plusieurs des scènes du roman. J’ajouterai toutefois que plusieurs accents de blues traversent ces nuits de jazz, probablement parce que je me sens moi-même plus proche de la langueur du blues, quoique la ligne de démarcation entre ces deux styles musicaux soit parfois difficile à tracer.

C’est un livre très cinématographique, comment l’avez-vous abordé ?
Comme j’aborde tous mes romans, en ne faisant pas que décrire l’action, mais en la voyant se dérouler et en y prenant part, d’une certaine façon. Pour illustrer la chose, je raconte souvent que, quand je m’installe à ma table de travail, le matin, je dis à mon chum, ne me cherche pas, je m’en vais à Bondrée, ou ne m’attend pas pour le dîner (je dirais pour le déjeuner si j’étais en France), je descends sur le bord du lac, etc., tout dépendant du décor du roman sur lequel je travaille. Dans le cas de Lazy Bird, il faut ajouter que je m’inspirais d’un film, comme je l’ai dit plus haut, mais je ne crois pas que ce soit cette source d’inspiration qui ait donné son aspect cinématographique au roman, car tous mes romans, du moins de mon point de vue, ont quelque chose de très imagé, qui peut se rapprocher de la façon dont on entrevoit la trame d’un film.

La musique est aussi très présente dans Bondrée, quel rapport entretenez-vous avec la musique et pour vous quels sont les rapports entre musique et écriture ?
Je vais probablement vous étonner, mais mes connaissances musicales ne sont pas très approfondies. J’en connais peut-être un peu plus que la moyenne des ours, si vous me passez cette expression très québécoise (puisqu’il est connu que nous vivons parmi les ours), mais je suis loin d’être une spécialiste. Bien souvent, je me considère un peu comme un analphabète par rapport à ce médium, puisque je ne sais malheureusement pas lire la musique et ne joue d’aucun instrument. Là encore, mes références à la musique sont des instruments dont je me sers pour définir ma culture ou celle de mes personnages. Pour ce qui est du rapport entre musique et écriture, je dirais qu’il est chez moi beaucoup plus instinctif qu’intellectualisé. Je m’attache beaucoup à la question du rythme, dans mes textes, à l’harmonie de la phrase, aux effets que certaines tournures peuvent lui donner, et c’est là, peut-être, que l’on peut trouver un lien, si ténu soit-il, entre musique et écriture dans mon travail.

Andrée A. Michaud - Lazy Bird - Bondrée - Rivages - Milieu Hostile

Bondrée

Le roman Bondrée se passe sur les lieux de votre enfance comme vous le précisez en note de fin. Jusque-là, tout va bien. Mais c’est assez étrange, le flic porte votre nom, une des héroïnes s’appelle Andrée et à bien y réfléchir, l’action se passant en 67, vous née en 57 il pourrait y avoir beaucoup de vous… Vous nous en dites plus ?
Au départ, ma décision de donner mon nom ou mon prénom à deux des personnages de Bondrée était une simple fantaisie, une façon de dire au lecteur que, quel que soit le personnage, l’auteure se cache toujours derrière. Puis je me suis rendu compte, au fil de l’écriture, que je prêtais à ces deux personnages, soit la petite Andrée et l’inspecteur Michaud, plusieurs des traits qui me définissent. Comme quoi l’effet de miroir opéré par l’homonymie peut être plus qu’une simple fantaisie.

Il n’est pas difficile de retourner là-bas, sur les lieux de l’enfance, et de se souvenir.

« Les grandes chaleurs, comme les grands froids, rendaient toujours la tâche plus difficile »… Que ce soit dans Rivière tremblante ou dans Tempêtes, on sent que le climat joue sur l’histoire, vous pouvez nous parler de ce rapport ?
Dans tous mes romans, le climat, de même que la force des éléments, revêtent une grande importance, probablement parce que l’intrigue de tous mes romans, ou presque, se déroule en pleine nature, et qu’il est impossible d’ignorer l’influence de la tempête, du froid ou de la pluie quand nos journées sont en partie déterminées par le temps qu’il fait. Il faut également dire que mes propres humeurs sont également fonction de la couleur du ciel et de la force plus ou moins grande des vents, et que, cela étant, je ne peux m’empêcher de transposer cette influence dans mes romans. J’ajouterai enfin que dans un pays comme le Québec, un pays où le temps peut radicalement changer d’un jour à l’autre, passer d’un froid de canard à un dégel ou d’une température torride à une journée fraîche, il est impossible de ne pas être affecté par ces fluctuations constantes.

« Il semblait presque croire que l’arrestation du meurtrier ressusciterait les jeunes filles et qu’elles pourraient enfin répondre à la question qu’il se posait toujours : why ? Pourquoi le mal était-il plus fort que la police, plus fort que le bon Dieu, plus fort que la beauté ou la joie pure de l’innocent ? Why ? »

Et oui, le pourquoi, LA grande question qui sous-tend le roman noir… est-ce un de vos moteurs d’écriture ?
En effet, la question que je me pose avant toutes les autres est celle-ci : pourquoi ? Pourquoi un homme, pourquoi une femme peuvent-ils en arriver à poser des gestes inadmissibles, dont la violence aura des répercussions non seulement sur la victime, mais aussi sur l’entourage de celle-ci, sur sa communauté. Ce qui m’intéresse ici, c’est la folie, le point de bascule où un être apparemment normal va craquer et laisser libre cours à ses pulsions, à la haine qui couve en lui, au potentiel de violence que nous possédons tous, mais que nous arrivons généralement à maîtriser.

Que ce soit dans ce roman ou dans Rivière tremblante, vous mettez en scène des enfants, renforçant la fragilité des personnages… comment les abordez-vous ?
Je les aborde comme quelqu’un qui a aussi connu l’enfance, comme quelqu’un qui se souvient de ses joies, mais aussi de ses peurs d’enfant. Il n’est pas difficile de retourner là-bas, sur les lieux de l’enfance, et de se souvenir. Je passe par la petite fille que j’ai été, par l’adolescente que j’ai été, je refais le portrait des autres enfants que j’ai côtoyés, et le personnage naît de cette mémoire des choses vives, propres à l’enfance.

Pour aller plus loin

Andrée A. Michaud chez son éditeur québécois, Québec Amérique, et français, Rivages

Interview avec Andrée A. Michaud : Bondrée et Lazy Bird - Milieu Hostile

Interview avec Andrée A. Michaud : Bondrée et Lazy Bird

Andrée A. Michaud - Bondrée - Lazy Bird - Rivages

L’auteure québécoise Andrée A. Michaud revient avec nous sur sa carrière, de Lazy Bird à Tempêtes, son dernier roman, en passant par Bondrée.

Nous avions rencontré Andrée A. Michaud il y a deux ans au festival America. Nous avions animé deux rencontres avec elle et cherchions le bon moment l’interviewer. La sortie de Tempêtes, roman marqué par les éléments et la folie, nous a semblé le bon moment. Il contient tous les éléments marquants de l’œuvre de l’auteure : les lieux, le temps, la psychologie des personnages.

Dans cette première partie de l’interview, nous reviendrons avec  Andrée A. Michaud sur ses éditeurs et ses romans Bondrée et Lazy Bird.

Deux éditeurs

Vous êtes québécoise et vos livres sont naturellement publiés au Québec avant d’être repris par d’autres éditeurs en France… comment cela se passe-t-il ?
Je ne connais pas tous les détails de ce type d’arrangement, car je ne prends pas part aux négociations relatives à la signature des contrats. Ce sont mes deux éditeurs, en l’occurrence Québec Amérique et Rivages, qui fixent les termes de ces contrats. Dans le cas de Bondrée, le premier de mes romans à avoir été publié par Rivages, Québec Amérique, si je ne m’abuse, avait présenté le texte à Rivages, et c’est François Guérif qui, à l’époque, avait décidé de demander les droits de publication pour la France.Andrée A. Michaud - Lazy Bird - Québec Amérique - Seuil - Milieu Hostile

Quels rapports entretenez-vous avec vos éditeurs québécois (que vous remerciez longuement en fin de Tempêtes) et français ?
Québec Amérique et Rivages sont deux éditeurs magnifiques et je m’estime privilégiée de pouvoir travailler avec eux. J’entretiens d’ailleurs des rapports très cordiaux, pour ne pas dire amicaux, avec tous les gens, au sein de ces deux équipes, que je suis appelée à côtoyer. Par exemple, une fois que j’ai remis mon manuscrit à mon éditeur québécois, un véritable travail d’équipe s’amorce (relectures, révision linguistique, choix d’une illustration pour la couverture, préparation de la campagne de presse, etc.), et cela se fait toujours dans la bonne entente et le respect mutuel. La même chose se produit chez Rivages, nous travaillons de concert afin de donner au roman le plus de chances possibles d’atteindre son lectorat, et je prends un plaisir fou à travailler avec la gang de Rivages, pour le dire en bon québécois, qui m’a dès le départ accueillie à bras ouverts.

Lire aussi : Interview Éric Plamondon : Des minorités en lutte pour leur survie

 

Percevez-vous un accueil différent de vos livres entre Québec et France ?
Il y a en effet des différences notables entre le Québec et la France quant à la réception de mes romans. Je pense entre autres à tout ce qui touche à la langue et à la réalité québécoises, de même qu’à leur inscription dans la culture nord-américaine. Pour un lecteur québécois, ces particularités vont de soi, alors qu’ils se teintent d’un certain exotisme pour le lecteur français.

La question de la langue

Que ce soit dans Bondrée, entre un protagoniste qui ne parle pas québécois et qui le vit mal ou dans Lazy Bird, vous abordez régulièrement la question de la langue, des rapports entre français et anglais… Vous nous en dites plus sur cette préoccupation ?
J’ai abordé ce thème dans trois de mes romans, Bondrée, Lazy Bird et Mirror Lake, qui forment ce que je nomme ma trilogie états-unienne, en ce sens que ces trois romans se passent dans des états partageant une frontière avec le Québec ou se situent à la frontière même entre le Québec et les États-Unis. Dans les trois cas, j’y aborde la question de la langue, qui nous amène inévitablement à ce qui distingue la culture québécoise de la culture états-unienne, mais aussi aux points communs entre ces deux cultures qui participent d’une nord-américanité qui, pour moi, est fondamentale. La question de la langue, pour une francophone vivant en Amérique du Nord, est une question qu’il est impossible de ne pas se poser quand on s’interroge sur son identité et son appartenance. Mettre en parallèle ces deux langues et ces deux identités par l’entremise de la fiction me permet de m’inscrire à la fois dans ma culture québécoise, avec tout ce qui la caractérise, mais aussi, plus globalement, dans la culture nord-américaine.

Andrée A. Michaud - Bondrée - Lazy Bird - Rivages - Milieu Hostile

Ce qui marque chez vous, c’est votre style, si particulier « un foisonnement de mots et de sens qui peut tout à fait désorienter » comme le dit si bien Philippe Cottet. Comment travaillez-vous ce style ?
Je crains de n’avoir aucune réponse claire à cette question. Disons d’abord que je retravaille beaucoup mes textes et qu’avant la version finale, je peux accumuler quatre, cinq ou six versions, elles-mêmes maintes fois remaniées. Je m’inspire beaucoup, également, de ce que d’autres ont appelé avant moi l’esprit des lieux, car les lieux, vous l’aurez remarqué, occupent une place primordiale dans mon univers. Ce qui compte avant tout pour moi, c’est de m’imprégner de l’esprit des lieux que je choisis, de les appréhender avec mes sens en évitant dans un premier temps toute forme de rationalisation dans mon rapport aux éléments qui fondent ces lieux. Vient ensuite le travail plus rationnel, l’échafaudage de la structure, le maillage des différentes parties du roman, l’introspection nécessaire à l’appréhension de mes personnages, etc.

La musique et le cinéma

Nous vous découvrons en France avec Lazy Bird, un livre aux multiples références (Clint Eatswood dans Play Misty for me, des allusions à Sam Shepard, David Mamet, Edward Hopper, John Carpenter, Stephen King…). Vous pouvez nous en dire plus ?
Cette question rejoint celle de mes préoccupations concernant la culture nord-américaine et les références culturelles que nous partageons, au Québec, avec nos voisins du sud. Ces références sont une façon, pour moi, de m’ancrer dans cette culture et de la définir. Elles me permettent aussi, si l’on veut, de prêter à mes personnages une culture qui se rapproche de la mienne et d’orienter leurs intérêts cinématographiques, musicaux, picturaux ou autres en fonction des miens.

Mes références à la musique sont des instruments dont je me sers pour définir ma culture ou celle de mes personnages.

Le jazz y est naturellement omniprésent…
J’ai choisi en effet de faire du personnage principal de Lazy Bird un amateur de jazz, entre autres à cause de la référence ouverte au film de Clint Eastwood, Play Misty for Me, où le jazz est très présent, et parce que le jazz est une musique qui s’accorde bien avec la nuit, durant laquelle se déroulent plusieurs des scènes du roman. J’ajouterai toutefois que plusieurs accents de blues traversent ces nuits de jazz, probablement parce que je me sens moi-même plus proche de la langueur du blues, quoique la ligne de démarcation entre ces deux styles musicaux soit parfois difficile à tracer.

C’est un livre très cinématographique, comment l’avez-vous abordé ?
Comme j’aborde tous mes romans, en ne faisant pas que décrire l’action, mais en la voyant se dérouler et en y prenant part, d’une certaine façon. Pour illustrer la chose, je raconte souvent que, quand je m’installe à ma table de travail, le matin, je dis à mon chum, ne me cherche pas, je m’en vais à Bondrée, ou ne m’attend pas pour le dîner (je dirais pour le déjeuner si j’étais en France), je descends sur le bord du lac, etc., tout dépendant du décor du roman sur lequel je travaille. Dans le cas de Lazy Bird, il faut ajouter que je m’inspirais d’un film, comme je l’ai dit plus haut, mais je ne crois pas que ce soit cette source d’inspiration qui ait donné son aspect cinématographique au roman, car tous mes romans, du moins de mon point de vue, ont quelque chose de très imagé, qui peut se rapprocher de la façon dont on entrevoit la trame d’un film.

La musique est aussi très présente dans Bondrée, quel rapport entretenez-vous avec la musique et pour vous quels sont les rapports entre musique et écriture ?
Je vais probablement vous étonner, mais mes connaissances musicales ne sont pas très approfondies. J’en connais peut-être un peu plus que la moyenne des ours, si vous me passez cette expression très québécoise (puisqu’il est connu que nous vivons parmi les ours), mais je suis loin d’être une spécialiste. Bien souvent, je me considère un peu comme un analphabète par rapport à ce médium, puisque je ne sais malheureusement pas lire la musique et ne joue d’aucun instrument. Là encore, mes références à la musique sont des instruments dont je me sers pour définir ma culture ou celle de mes personnages. Pour ce qui est du rapport entre musique et écriture, je dirais qu’il est chez moi beaucoup plus instinctif qu’intellectualisé. Je m’attache beaucoup à la question du rythme, dans mes textes, à l’harmonie de la phrase, aux effets que certaines tournures peuvent lui donner, et c’est là, peut-être, que l’on peut trouver un lien, si ténu soit-il, entre musique et écriture dans mon travail.

Andrée A. Michaud - Lazy Bird - Bondrée - Rivages - Milieu Hostile

Bondrée

Le roman Bondrée se passe sur les lieux de votre enfance comme vous le précisez en note de fin. Jusque-là, tout va bien. Mais c’est assez étrange, le flic porte votre nom, une des héroïnes s’appelle Andrée et à bien y réfléchir, l’action se passant en 67, vous née en 57 il pourrait y avoir beaucoup de vous… Vous nous en dites plus ?
Au départ, ma décision de donner mon nom ou mon prénom à deux des personnages de Bondrée était une simple fantaisie, une façon de dire au lecteur que, quel que soit le personnage, l’auteure se cache toujours derrière. Puis je me suis rendu compte, au fil de l’écriture, que je prêtais à ces deux personnages, soit la petite Andrée et l’inspecteur Michaud, plusieurs des traits qui me définissent. Comme quoi l’effet de miroir opéré par l’homonymie peut être plus qu’une simple fantaisie.

Il n’est pas difficile de retourner là-bas, sur les lieux de l’enfance, et de se souvenir.

« Les grandes chaleurs, comme les grands froids, rendaient toujours la tâche plus difficile »… Que ce soit dans Rivière tremblante ou dans Tempêtes, on sent que le climat joue sur l’histoire, vous pouvez nous parler de ce rapport ?
Dans tous mes romans, le climat, de même que la force des éléments, revêtent une grande importance, probablement parce que l’intrigue de tous mes romans, ou presque, se déroule en pleine nature, et qu’il est impossible d’ignorer l’influence de la tempête, du froid ou de la pluie quand nos journées sont en partie déterminées par le temps qu’il fait. Il faut également dire que mes propres humeurs sont également fonction de la couleur du ciel et de la force plus ou moins grande des vents, et que, cela étant, je ne peux m’empêcher de transposer cette influence dans mes romans. J’ajouterai enfin que dans un pays comme le Québec, un pays où le temps peut radicalement changer d’un jour à l’autre, passer d’un froid de canard à un dégel ou d’une température torride à une journée fraîche, il est impossible de ne pas être affecté par ces fluctuations constantes.

« Il semblait presque croire que l’arrestation du meurtrier ressusciterait les jeunes filles et qu’elles pourraient enfin répondre à la question qu’il se posait toujours : why ? Pourquoi le mal était-il plus fort que la police, plus fort que le bon Dieu, plus fort que la beauté ou la joie pure de l’innocent ? Why ? »

Et oui, le pourquoi, LA grande question qui sous-tend le roman noir… est-ce un de vos moteurs d’écriture ?
En effet, la question que je me pose avant toutes les autres est celle-ci : pourquoi ? Pourquoi un homme, pourquoi une femme peuvent-ils en arriver à poser des gestes inadmissibles, dont la violence aura des répercussions non seulement sur la victime, mais aussi sur l’entourage de celle-ci, sur sa communauté. Ce qui m’intéresse ici, c’est la folie, le point de bascule où un être apparemment normal va craquer et laisser libre cours à ses pulsions, à la haine qui couve en lui, au potentiel de violence que nous possédons tous, mais que nous arrivons généralement à maîtriser.

Que ce soit dans ce roman ou dans Rivière tremblante, vous mettez en scène des enfants, renforçant la fragilité des personnages… comment les abordez-vous ?
Je les aborde comme quelqu’un qui a aussi connu l’enfance, comme quelqu’un qui se souvient de ses joies, mais aussi de ses peurs d’enfant. Il n’est pas difficile de retourner là-bas, sur les lieux de l’enfance, et de se souvenir. Je passe par la petite fille que j’ai été, par l’adolescente que j’ai été, je refais le portrait des autres enfants que j’ai côtoyés, et le personnage naît de cette mémoire des choses vives, propres à l’enfance.

Pour aller plus loin

Andrée A. Michaud chez son éditeur québécois, Québec Amérique, et français, Rivages