38 Témoins, le poids du silence

©Miles Hyman

Louise et Pierre vivent au Havre, dans une rue bordée d’immeubles et de commerces. Louise vient juste de rentrer de voyages d’affaires et apprend par ses voisins qu’une jeune femme est morte, assassinée à coups de couteaux, juste en face de chez eux, la nuit précédente. Un crime que personne n’a vu, ni entendu.

Les deux fiancés se retrouvent et tandis que Louise tente de comprendre la tragédie qui secoue tout le quartier, Pierre est mutique. Il avoue seulement à sa compagne ne pas avoir été à la maison cette nuit-là, être rentré du travail plus tard, alors que les policiers étaient déjà arrivés. La vie du quartier tente de revenir à la normale, malgré le choc encore très présent et les expressions de recueillement pour la victime, que personne ne connaissait. Les policiers font leur travail de recherche, une journaliste du Havre Libre tente de couvrir l’événement malgré le peu d’informations qu’elle parvient à glaner. Rien que de très habituel.
Lucas Belvaux
Et alors que l’on se demande où nous emmène 38 témoins, la sixième réalisation de Lucas Belvaux, son personnage principal – celui que l’on tient, nous spectateurs, pour presque suspect –, parle. Et ce qu’il révèle fait basculer le film non plus dans le polar classique à la recherche du tueur, mais dans la banalité du mal, du côté des témoins. Ce que confie Pierre, c’est qu’il a menti, il était déjà rentré et dormait quand le meurtre a eu lieu. Et les cris l’ont réveillé. Oui les cris, longs et inhumains, que personne ne peut nier ne pas avoir entendu.

 




Par le biais de ce couple (Sophie Quinton et Yvan Attal), au bord de l’implosion, c’est un mal ordinaire qu’on nous présente, si facile. En douceur et avec subtilité, le film dévoile sa vérité, qu’ils étaient 38 témoins à avoir entendu et vu le meurtre, 38 qui auraient pu, mais qui n’ont rien fait. Suivre Pierre déposer sa version à la police, c’est aller un peu plus vers l’infamie, tant il sera seul contre tous, lui seul prêt à se confronter à ses remords et sa lâcheté.

Lucas Belvaux adapte ici le livre de Didier Decoin, Est-ce ainsi que les femmes meurent ?, roman adapté du fait divers new-yorkais de l’assassinat de Catherine Kitty Genovese, tuée devant son immeuble sans qu’aucun de ses voisins ne lui vienne en aide. Le réalisateur transporte ce récit dans un Havre, froid, quasi inhumain tant le béton semble plus l’habiter.

38 témoins est un film qui ne juge pas, qui laisse l’entière liberté à ses spectateurs de le faire. Nous sommes à la fois du côté de cette journaliste (Nicole Garcia) désirant publier la vérité, mais aussi conquis par le discours de ce procureur (Didier Sandre) qui affirme qu’il ne faut pas poursuivre ces témoins pour éviter un lynchage, une tempête médiatique.

Qu’est-ce que voulez comprendre ? L’âme humaine ? Vous ne comprendrez jamais pourquoi personne n’a rien fait cette nuit-là. Croyez-moi, on ne comprend jamais.

Nous voilà donc spectateurs et juges, et dans l’appréhension aussi, car on ne peut oublier cette inévitable question qui plane au-dessus du film et de ses spectateurs, « et nous, qu’aurions nous fait ? ».

Et il y a cette dernière scène, glaçante, la reconstitution du meurtre, où la lâcheté et l’impuissance se rejouent, là où le silence est encore plus terrible que les cris.

Pour aller plus loin

Est-ce ainsi que les femmes meurent ? de Didier Decoin chez Grasset, son éditeur.
L’illustration, dans son ensemble, de Miles Hyman pour l’affiche du film.

38 Témoins, le poids du silence - Milieu Hostile

38 Témoins, le poids du silence

©Miles Hyman

Louise et Pierre vivent au Havre, dans une rue bordée d’immeubles et de commerces. Louise vient juste de rentrer de voyages d’affaires et apprend par ses voisins qu’une jeune femme est morte, assassinée à coups de couteaux, juste en face de chez eux, la nuit précédente. Un crime que personne n’a vu, ni entendu.

Les deux fiancés se retrouvent et tandis que Louise tente de comprendre la tragédie qui secoue tout le quartier, Pierre est mutique. Il avoue seulement à sa compagne ne pas avoir été à la maison cette nuit-là, être rentré du travail plus tard, alors que les policiers étaient déjà arrivés. La vie du quartier tente de revenir à la normale, malgré le choc encore très présent et les expressions de recueillement pour la victime, que personne ne connaissait. Les policiers font leur travail de recherche, une journaliste du Havre Libre tente de couvrir l’événement malgré le peu d’informations qu’elle parvient à glaner. Rien que de très habituel.
Lucas Belvaux
Et alors que l’on se demande où nous emmène 38 témoins, la sixième réalisation de Lucas Belvaux, son personnage principal – celui que l’on tient, nous spectateurs, pour presque suspect –, parle. Et ce qu’il révèle fait basculer le film non plus dans le polar classique à la recherche du tueur, mais dans la banalité du mal, du côté des témoins. Ce que confie Pierre, c’est qu’il a menti, il était déjà rentré et dormait quand le meurtre a eu lieu. Et les cris l’ont réveillé. Oui les cris, longs et inhumains, que personne ne peut nier ne pas avoir entendu.

 




Par le biais de ce couple (Sophie Quinton et Yvan Attal), au bord de l’implosion, c’est un mal ordinaire qu’on nous présente, si facile. En douceur et avec subtilité, le film dévoile sa vérité, qu’ils étaient 38 témoins à avoir entendu et vu le meurtre, 38 qui auraient pu, mais qui n’ont rien fait. Suivre Pierre déposer sa version à la police, c’est aller un peu plus vers l’infamie, tant il sera seul contre tous, lui seul prêt à se confronter à ses remords et sa lâcheté.

Lucas Belvaux adapte ici le livre de Didier Decoin, Est-ce ainsi que les femmes meurent ?, roman adapté du fait divers new-yorkais de l’assassinat de Catherine Kitty Genovese, tuée devant son immeuble sans qu’aucun de ses voisins ne lui vienne en aide. Le réalisateur transporte ce récit dans un Havre, froid, quasi inhumain tant le béton semble plus l’habiter.

38 témoins est un film qui ne juge pas, qui laisse l’entière liberté à ses spectateurs de le faire. Nous sommes à la fois du côté de cette journaliste (Nicole Garcia) désirant publier la vérité, mais aussi conquis par le discours de ce procureur (Didier Sandre) qui affirme qu’il ne faut pas poursuivre ces témoins pour éviter un lynchage, une tempête médiatique.

Qu’est-ce que voulez comprendre ? L’âme humaine ? Vous ne comprendrez jamais pourquoi personne n’a rien fait cette nuit-là. Croyez-moi, on ne comprend jamais.

Nous voilà donc spectateurs et juges, et dans l’appréhension aussi, car on ne peut oublier cette inévitable question qui plane au-dessus du film et de ses spectateurs, « et nous, qu’aurions nous fait ? ».

Et il y a cette dernière scène, glaçante, la reconstitution du meurtre, où la lâcheté et l’impuissance se rejouent, là où le silence est encore plus terrible que les cris.

Pour aller plus loin

Est-ce ainsi que les femmes meurent ? de Didier Decoin chez Grasset, son éditeur.
L’illustration, dans son ensemble, de Miles Hyman pour l’affiche du film.