Les lieux de Sandrine Collette

Collette

Au début de l’année, sortait Juste après la vague, l’occasion pour nous d’interroger Sandrine Collette sur les lieux, si marquants, qui hantent ses romans, particulièrement noirs. Et sur sa vision du noir.

Le noir

Eh bien, le noir, sur une échelle de dégradés, c’est ce qui vient bien après le blanc et un peu après le gris. C’est une non-couleur. C’est quelque chose dans lequel on ne distingue plus rien, car il n’y a pas de lumière. Et pourtant, de la même façon qu’on dit de Pierre Soulages que c’est le peintre du noir alors qu’il y a toujours une incandescence perdue dans le plus noir de ses tableaux noirs, le noir est une littérature qui autorise, qui exige même de la lumière. Sans quoi, effectivement, il n’y a rien à voir. C’est peut-être le contraste le plus intéressant : celui entre les ténèbres et les petits puits d’espoir. C’est vrai que chez moi, les puits d’espoir sont parfois très, très petits. Mais ils sont là. Ils regardent le monde et ils se disent que tout n’est pas perdu.

Collette

L’océan

L’océan, c’est l’angoisse. C’est un élément qui, lorsqu’il nous prend, n’a ni début ni fin : il occupe tout l’espace. En plein océan – comme en plein vol – il peut ne plus rien y avoir d’autre. Juste l’eau, à gauche, à droite, devant, derrière. En plus d’être géant, l’océan a une force démesurée. Quand il enrage, je ne sais pas ce qui peut l’arrêter, hormis le temps (qu’il se calme). Et enfin, ce n’est pas notre nature. Nous ne savons pas respirer dans l’océan. Il y a quelque chose d’hostile dans l’océan lorsqu’on y entre, quelque chose qui nous dit que nous lui sommes étrangers. Quand je pense qu’il y a des gens qui n’ont pas peur de lui, cela me fascine et me sidère.

La PatagonieCollette

La Patagonie est une terre si rude qu’elle contamine ceux qui y vivent, comme la mère et ses quatre fils dans mon quatrième roman. Pour tenir là-bas, il faut être de la même trempe que la steppe, que les plateaux rocailleux, que les bosquets épineux fouettés par le vent. C’est une terre sans terre, au fond. Juste de quoi mettre les pieds dessus mais si peu de chose pour nourrir, faire pousser, donner. Et pourtant il y a une beauté austère dans ces steppes, un peu comme un diamant que l’on regarde : c’est froid, c’est dur, mais c’est éclatant.

C’est vrai que chez moi, les puits d’espoir sont parfois très, très petits. Mais ils sont là. Ils regardent le monde et ils se disent que tout n’est pas perdu.

L’Albanie

Je préférerais qu’on dise « la montagne », parce que l’Albanie, en fait, je ne connais pas. J’ai travaillé dessus pour un de mes romans mais ce que j’avais en tête, ce n’était pas qu’il fallait que ce soit en Albanie, mais dans la montagne. Un endroit où, même aujourd’hui, on peut être coupé du monde : il arrive que le portable ne passe pas et que les secours ne puissent pas venir quand on en a besoin. Ensuite, dans des coins reculés comme celui-ci – mais, en toute relativité, la campagne où j’habite en est un aussi – on imagine plus facilement des restes de superstitions, de légendes, de croyances. On s’est moins frotté à la société moderne, à l’ultra consommation. Certains diront que ce sont des régions d’arriérés, pour d’autres, la persistance des valeurs. Je crois surtout à l’étrangeté et à la magie…

Collette

La casse

La Casse est une ville où l’on vit dans des carcasses de voitures. Elle n’existe pas. Mais elle pourrait. Il y a aux États-Unis par exemple, d’immenses terrains vagues occupés par des mobil-homes ou des camping-cars dans lesquels vivent des gens en dehors de tout habitat, de tout confort et de toute sociabilité traditionnels. Dans la Casse, la voiture, image de la société de consommation par excellence, est poussée à l’extrême. C’est peut-être ce qui reste quand, justement, la société de consommation s’écroule. Des ruines. Des gravats. Des déchets de verre et de métal. La voiture, c’était un rêve d’émancipation et de progrès technologique, et cela devient la pire des maisons. C’est l’objet détourné de son usage normal quand la misère ne laisse plus le choix, comme ces habitants du Caire qui, sous l’effet conjugué de la pauvreté et de la surpopulation, ont investi les anciens cimetières et vivent dans des tombes.

Pour aller plus loin

Les livres de l’auteure chez Denoël
Le facebook de Sandrine Collette

Les lieux de Sandrine Collette - Milieu Hostile

Les lieux de Sandrine Collette

Collette

Au début de l’année, sortait Juste après la vague, l’occasion pour nous d’interroger Sandrine Collette sur les lieux, si marquants, qui hantent ses romans, particulièrement noirs. Et sur sa vision du noir.

Le noir

Eh bien, le noir, sur une échelle de dégradés, c’est ce qui vient bien après le blanc et un peu après le gris. C’est une non-couleur. C’est quelque chose dans lequel on ne distingue plus rien, car il n’y a pas de lumière. Et pourtant, de la même façon qu’on dit de Pierre Soulages que c’est le peintre du noir alors qu’il y a toujours une incandescence perdue dans le plus noir de ses tableaux noirs, le noir est une littérature qui autorise, qui exige même de la lumière. Sans quoi, effectivement, il n’y a rien à voir. C’est peut-être le contraste le plus intéressant : celui entre les ténèbres et les petits puits d’espoir. C’est vrai que chez moi, les puits d’espoir sont parfois très, très petits. Mais ils sont là. Ils regardent le monde et ils se disent que tout n’est pas perdu.

Collette

L’océan

L’océan, c’est l’angoisse. C’est un élément qui, lorsqu’il nous prend, n’a ni début ni fin : il occupe tout l’espace. En plein océan – comme en plein vol – il peut ne plus rien y avoir d’autre. Juste l’eau, à gauche, à droite, devant, derrière. En plus d’être géant, l’océan a une force démesurée. Quand il enrage, je ne sais pas ce qui peut l’arrêter, hormis le temps (qu’il se calme). Et enfin, ce n’est pas notre nature. Nous ne savons pas respirer dans l’océan. Il y a quelque chose d’hostile dans l’océan lorsqu’on y entre, quelque chose qui nous dit que nous lui sommes étrangers. Quand je pense qu’il y a des gens qui n’ont pas peur de lui, cela me fascine et me sidère.

La PatagonieCollette

La Patagonie est une terre si rude qu’elle contamine ceux qui y vivent, comme la mère et ses quatre fils dans mon quatrième roman. Pour tenir là-bas, il faut être de la même trempe que la steppe, que les plateaux rocailleux, que les bosquets épineux fouettés par le vent. C’est une terre sans terre, au fond. Juste de quoi mettre les pieds dessus mais si peu de chose pour nourrir, faire pousser, donner. Et pourtant il y a une beauté austère dans ces steppes, un peu comme un diamant que l’on regarde : c’est froid, c’est dur, mais c’est éclatant.

C’est vrai que chez moi, les puits d’espoir sont parfois très, très petits. Mais ils sont là. Ils regardent le monde et ils se disent que tout n’est pas perdu.

L’Albanie

Je préférerais qu’on dise « la montagne », parce que l’Albanie, en fait, je ne connais pas. J’ai travaillé dessus pour un de mes romans mais ce que j’avais en tête, ce n’était pas qu’il fallait que ce soit en Albanie, mais dans la montagne. Un endroit où, même aujourd’hui, on peut être coupé du monde : il arrive que le portable ne passe pas et que les secours ne puissent pas venir quand on en a besoin. Ensuite, dans des coins reculés comme celui-ci – mais, en toute relativité, la campagne où j’habite en est un aussi – on imagine plus facilement des restes de superstitions, de légendes, de croyances. On s’est moins frotté à la société moderne, à l’ultra consommation. Certains diront que ce sont des régions d’arriérés, pour d’autres, la persistance des valeurs. Je crois surtout à l’étrangeté et à la magie…

Collette

La casse

La Casse est une ville où l’on vit dans des carcasses de voitures. Elle n’existe pas. Mais elle pourrait. Il y a aux États-Unis par exemple, d’immenses terrains vagues occupés par des mobil-homes ou des camping-cars dans lesquels vivent des gens en dehors de tout habitat, de tout confort et de toute sociabilité traditionnels. Dans la Casse, la voiture, image de la société de consommation par excellence, est poussée à l’extrême. C’est peut-être ce qui reste quand, justement, la société de consommation s’écroule. Des ruines. Des gravats. Des déchets de verre et de métal. La voiture, c’était un rêve d’émancipation et de progrès technologique, et cela devient la pire des maisons. C’est l’objet détourné de son usage normal quand la misère ne laisse plus le choix, comme ces habitants du Caire qui, sous l’effet conjugué de la pauvreté et de la surpopulation, ont investi les anciens cimetières et vivent dans des tombes.

Pour aller plus loin

Les livres de l’auteure chez Denoël
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