Interview avec Samuel Sfez, traducteur d’Antonio Manzini

Samuel Sfez - Antonio Manzini - Rocco Schiavone - Ombres et poussières - 07.07.07 - Piste noire - Froid comme la mort - Maudit printemps - Un homme seul

Vous le savez, chez Milieu Hostile, on aime Antonio Manzini. La sortie d’Ombres et poussières (toujours chez Denoël), la septième aventure du sous-préfet Rocco Schiavone, est pour nous l’occasion de poser quelques questions à son traducteur, Samuel Sfez.

C’est lors de la journée d’étude « Traduire le polar », organisée le laboratoire LLSETI de l’Université de Savoie Mont Blanc que nous avons rencontré « la voix » française d’Antonio Manzini, Samuel Sfez.  Sa communication était aussi drôle et passionnante que les aventures du sous-préfet Rocco Schiavone et nous nous sommes dit qu’il serait bon d’y revenir.

Samuel Sfez, vous traduisez d’abord l’anglais puis aujourd’hui l’italien, comment avez-vous débuté ?
Je suivais des études d’anglais, qui me passionnaient, mais je voyais bien qu’elles me destinaient à devenir prof, ce qui ne m’enchantait pas. Puis un jour mon université a invité Robert Pépin, traducteur et éditeur historique de polars, et le chemin à suivre m’a paru évident. J’ai suivi le master de traduction littéraire de Paris 7 qui m’a permis d’apprendre le métier et depuis je n’en ai plus exercé aucun autre.

Comment vous est arrivé le premier Antonio Manzini ? Et qu’en avez-vous pensé à la première lecture ?
C’est Liana Levi qui m’a proposé la traduction du premier tome de la série Rocco Schiavone, qui à l’époque ne devait pas encore devenir une série. J’ai tout de suite adoré ce personnage mal embouché, généreux et créatif dans la malhonnêteté – bref, romain. J’ai des attaches fortes avec la ville de Rome et voir ce flic s’entêter à parler romanaccio [le dialecte de Rome] à Aoste m’a beaucoup plu.

 

À lire aussi : Sous-préfet, pas commissaire ! – La série Rocco Schiavone d’Antonio Manzini

 

Ce n’est pas vous qui avez traduit le deuxième volet de la série (mais pourquoi donc ?), mais ensuite vous devenez son traducteur exclusif. Comment envisage-t-on la traduction d’une série ?
Le deuxième titre n’a pas plu à Liana Levi, qui n’a pas souhaité poursuivre la publication de ce qui devenait à l’évidence une série. Elle a donc cédé les droits de Piste noire à Denoël, qui avait entretemps mis en traduction le deuxième titre. Par la suite, la traductrice de Froid comme la mort, Anaïs Bouteille-Bokobza, m’a gentiment cédé la place pour la suite de la série – un geste de solidarité entre pairs qui m’a beaucoup touché.
La question de la traduction au long cours s’est justement posée au long cours : lors de ma traduction de Piste Noire, j’ignorais qu’il s’agissait d’une série, et lors de la publication de Froid comme la mort, j’ignorais que je traduirais la suite. Certains choix se sont donc mis en place à l’usage, comme par exemple celui de laisser certaines expressions romaines intactes pour faire goûter ce parler au lectorat (par exemple « boh » pour « je sais pas » ou « sticazzi »). À mesure que je traduisais, j’ai fait le pari que le lectorat suivait la série et s’appropriait ces termes récurrents et emblématiques du personnage.
À l’inverse, je n’ai pas pu revenir sur certains choix effectués lors de la traduction du premier tome, que j’aurais sans doute davantage pesés si j’avais connu l’ampleur que prendrait la série.

Smuel Sfez - Antonio Manzini - Froid comme la mort - Rocco Schiavone

Traduire Rocco Schiavone

Rocco Schiavone n’est pas commissaire, mais sous-préfet, comme il aime à le répéter, à quoi correspond exactement ce grade ?
Dans chaque tome, Schiavone répète à l’envi qu’il est sous-préfet, vicequestore en italien, et non commissaire. Ce grade correspond en réalité à celui de commissaire, et s’appelait d’ailleurs commissario jusqu’à une réforme récente de la police italienne. Mais pour Schiavone, la différence est importante, bien qu’on ne sache pas trop pourquoi. C’est peut-être une question d’orgueil professionnel, ou bien une manière de se démarquer de tous les « commissaires » qui ont émaillé la littérature policière italienne ou française.
Du point de vue de la traduction, cela m’a posé beaucoup de problèmes, car ce grade ne correspond à rien en France – ou plutôt si, à celui de commissaire que je ne pouvais pas utiliser. La fonction de questeur renvoie à une autre réalité (il s’agit d’un poste à l’Assemblée nationale), mais celle de préfet n’est pas non plus la bonne. D’autant que dans l’un des derniers tomes, il est question d’un prefetto, qui est, pour le coup, préfet…
En rétrospective, je laisserais aujourd’hui le grade de vicequestore en italien, mais il n’est pas possible de revenir en arrière sur les tomes déjà publiés. Qui sait, à l’occasion d’une réédition intégrale… ?

 

Bonus ! La Constitution romaine selon Rocco Schiavone

 

Schiavone vient de Rome et aime bien jouer sur la différence de langue avec Aoste, mais comment diable arriver à rendre tout ceci intelligible en français ?
J’ai la chance que précisément, les habitants d’Aoste ne comprennent pas tous ce que veut dire Schiavone quand il parle romain. L’auteur utilise donc un certain nombre de procédés pour appuyer sur la distinction entre ce dialecte et l’italien standard : parfois, c’est le second de Schiavone, Italo Pierron, qui « traduit » les propos de son supérieur, parfois c’est Schiavone lui-même qui se livre à des mises au clair, et parfois, le plus beau à mon avis, la poésie du romanaccio parle d’elle-même. Par exemple page 276 de Ombres et poussières, après un fiasco judiciaire qui a gâché des semaines de travail, voici un échange entre le médecin légiste et Rocco Schiavone :

« – En tout cas, on a été forts, cette fois aussi, non ?
­– Ariconsolamose co’ l’ajetto.
– Tu pourrais parler italien ? Langue que, ça te semblera bizarre, on parle encore dans toute la péninsule et qu’on utilise pour se comprendre malgré nos énormes différences anthropologiques et sociales ?
– « On se console avec l’ail. » C’est une expression. Pas besoin d’autres explications, je crois. »

Échangez-vous avec Antonio Manzini au sujet de vos traductions ?
Rarement. J’ai eu la chance de le rencontrer lors d’un de ses passages en France, et nous avons beaucoup discuté de la manière de traduire le parler de ses différents personnages. C’était en 2017, au moment des élections présidentielles, et nous en sommes venus à parler de Jean Lasalle. Il m’a dit : « Tiens, tu vois, D’Intino [un agent originaire des Abruzzes], fais-le parler comme lui, qu’on comprend rien. »
À part ça, en termes de conseil, j’ai fidèlement suivi celui qu’Antonio Manzini lui-même tenait de Camilleri à qui il demandait comment écrire une série qui tienne la route : « Débrouille-toi !».

Ombres et poussières date de 2017, il en reste visiblement encore à traduire, vous nous en dites quelques mots ?
Il y a à ce jour encore cinq tomes parus en Italie et non traduits en France. Les deux suivants (Faites vos jeux et Rien ne va plus) forment une sorte de diptyque autour d’une affaire complexe de casino. Ils mettent un peu de côté l’histoire personnelle de Schiavone pour se concentrer sur les enquêtes. Dans Ah, l’amore, l’amore, Schiavone doit mener l’enquête depuis un lit d’hôpital. Avec Vecchie conoscenze, on replonge dans le passé de notre enquêteur préféré, puis Le ossa parlano prend un tour plus sombre.
Antonio Manzini est un auteur très prolifique et vu son rythme d’écriture cette série semble avoir une fonction cathartique pour lui.
J’espère que les éditions Denoël choisiront de poursuivre cette série, qui en vaut, à mon avis, la peine.

Avez-vous vu la série qui en a été tirée ?
La Rai a adapté les livres de Rocco Schiavone en une série de téléfilms, qui ont eu pas mal d’écho en Italie – notamment parce que les syndicats de policiers s’offusquaient de voir un vicequestore fumer des joints, dire des gros mots et frapper des suspects, des choses qui n’existent pas dans la réalité…
Antonio Manzini, scénariste de métier, a participé à l’écriture des épisodes, et ils sont très proches de l’univers des livres. L’acteur Marco Giallini en particulier est très crédible en Schiavone – même si à mon avis, l’auteur lui-même aurait fait une version pas mal du tout [il est aussi acteur]. C’est toujours perturbant de voir les personnages que l’on a côtoyés incarnés par des acteurs, qui ne ressemblent pas toujours à ce qu’on imaginait. Par exemple, Furio, un ami de Rocco, est joué par un gros biker barbu aux cheveux longs, alors que je le voyais chauve et sec.

Et pour finir, alors, quand doit-on utiliser Sticazzi ?
Je laisse le soin de cette réponse à Rocco (Ombres et poussières, p. 60) :

Rocco frappa du poing sur la table.
« Bon, il est temps qu’au Nord, vous commenciez à apprendre l’usage exact des termes et locutions romaines. Sticazzi s’emploie quand on n’a rien à foutre de quelque chose. Par exemple : Tu sais qu’il y a quatre mille habitant à Saint-Vincent ? Sticazzi, tu peux répondre. C’est-à-dire : on s’en fout. La manière dont vous l’utilisez est fausse, Italo. Tu dois chercher une aiguille dans une botte de foin ? Alors il faut dire : mecojoni ! Mecojoni indique la stupeur, on l’utilise pour dire : ben mince ! Tu comprends la différence, Italo ? Tu ne peux pas utiliser sticazzi pour exprimer l’émerveillement, la surprise. J’ai gagné 40 millions d’euros à la loterie ? Mecojoni, il faut dire ! Si tu dis sticazzi, ça veut dire : j’en n’ai rien à foutre. Voilà. On recommence. Deruta et D’Intino doivent chercher tous les trans d’Aoste et de la région. Toi, qu’est-ce que tu dois dire ?
Mei cojoni ?
Mecojoni, le corrigea-t-il.
Mecojoni.
— Bravo, Italo. À Courmayeur il y a un funiculaire ?
Sticazzi.
— Parfait. Tu viens d’apprendre l’article 7 de la constitution romaine, qui dit : un sticazzi bien placé résout mille problèmes.

Pour aller plus loin

Les romans d’Antonio Manzini, traduits par Samuel Sfez, sont publiés chez Denoël et Folio.
La série télévisée Rocco Schiavone

Interview avec Samuel Sfez, traducteur d'Antonio Manzini - Milieu Hostile

Interview avec Samuel Sfez, traducteur d’Antonio Manzini

Samuel Sfez - Antonio Manzini - Rocco Schiavone - Ombres et poussières - 07.07.07 - Piste noire - Froid comme la mort - Maudit printemps - Un homme seul

Vous le savez, chez Milieu Hostile, on aime Antonio Manzini. La sortie d’Ombres et poussières (toujours chez Denoël), la septième aventure du sous-préfet Rocco Schiavone, est pour nous l’occasion de poser quelques questions à son traducteur, Samuel Sfez.

C’est lors de la journée d’étude « Traduire le polar », organisée le laboratoire LLSETI de l’Université de Savoie Mont Blanc que nous avons rencontré « la voix » française d’Antonio Manzini, Samuel Sfez.  Sa communication était aussi drôle et passionnante que les aventures du sous-préfet Rocco Schiavone et nous nous sommes dit qu’il serait bon d’y revenir.

Samuel Sfez, vous traduisez d’abord l’anglais puis aujourd’hui l’italien, comment avez-vous débuté ?
Je suivais des études d’anglais, qui me passionnaient, mais je voyais bien qu’elles me destinaient à devenir prof, ce qui ne m’enchantait pas. Puis un jour mon université a invité Robert Pépin, traducteur et éditeur historique de polars, et le chemin à suivre m’a paru évident. J’ai suivi le master de traduction littéraire de Paris 7 qui m’a permis d’apprendre le métier et depuis je n’en ai plus exercé aucun autre.

Comment vous est arrivé le premier Antonio Manzini ? Et qu’en avez-vous pensé à la première lecture ?
C’est Liana Levi qui m’a proposé la traduction du premier tome de la série Rocco Schiavone, qui à l’époque ne devait pas encore devenir une série. J’ai tout de suite adoré ce personnage mal embouché, généreux et créatif dans la malhonnêteté – bref, romain. J’ai des attaches fortes avec la ville de Rome et voir ce flic s’entêter à parler romanaccio [le dialecte de Rome] à Aoste m’a beaucoup plu.

 

À lire aussi : Sous-préfet, pas commissaire ! – La série Rocco Schiavone d’Antonio Manzini

 

Ce n’est pas vous qui avez traduit le deuxième volet de la série (mais pourquoi donc ?), mais ensuite vous devenez son traducteur exclusif. Comment envisage-t-on la traduction d’une série ?
Le deuxième titre n’a pas plu à Liana Levi, qui n’a pas souhaité poursuivre la publication de ce qui devenait à l’évidence une série. Elle a donc cédé les droits de Piste noire à Denoël, qui avait entretemps mis en traduction le deuxième titre. Par la suite, la traductrice de Froid comme la mort, Anaïs Bouteille-Bokobza, m’a gentiment cédé la place pour la suite de la série – un geste de solidarité entre pairs qui m’a beaucoup touché.
La question de la traduction au long cours s’est justement posée au long cours : lors de ma traduction de Piste Noire, j’ignorais qu’il s’agissait d’une série, et lors de la publication de Froid comme la mort, j’ignorais que je traduirais la suite. Certains choix se sont donc mis en place à l’usage, comme par exemple celui de laisser certaines expressions romaines intactes pour faire goûter ce parler au lectorat (par exemple « boh » pour « je sais pas » ou « sticazzi »). À mesure que je traduisais, j’ai fait le pari que le lectorat suivait la série et s’appropriait ces termes récurrents et emblématiques du personnage.
À l’inverse, je n’ai pas pu revenir sur certains choix effectués lors de la traduction du premier tome, que j’aurais sans doute davantage pesés si j’avais connu l’ampleur que prendrait la série.

Smuel Sfez - Antonio Manzini - Froid comme la mort - Rocco Schiavone

Traduire Rocco Schiavone

Rocco Schiavone n’est pas commissaire, mais sous-préfet, comme il aime à le répéter, à quoi correspond exactement ce grade ?
Dans chaque tome, Schiavone répète à l’envi qu’il est sous-préfet, vicequestore en italien, et non commissaire. Ce grade correspond en réalité à celui de commissaire, et s’appelait d’ailleurs commissario jusqu’à une réforme récente de la police italienne. Mais pour Schiavone, la différence est importante, bien qu’on ne sache pas trop pourquoi. C’est peut-être une question d’orgueil professionnel, ou bien une manière de se démarquer de tous les « commissaires » qui ont émaillé la littérature policière italienne ou française.
Du point de vue de la traduction, cela m’a posé beaucoup de problèmes, car ce grade ne correspond à rien en France – ou plutôt si, à celui de commissaire que je ne pouvais pas utiliser. La fonction de questeur renvoie à une autre réalité (il s’agit d’un poste à l’Assemblée nationale), mais celle de préfet n’est pas non plus la bonne. D’autant que dans l’un des derniers tomes, il est question d’un prefetto, qui est, pour le coup, préfet…
En rétrospective, je laisserais aujourd’hui le grade de vicequestore en italien, mais il n’est pas possible de revenir en arrière sur les tomes déjà publiés. Qui sait, à l’occasion d’une réédition intégrale… ?

 

Bonus ! La Constitution romaine selon Rocco Schiavone

 

Schiavone vient de Rome et aime bien jouer sur la différence de langue avec Aoste, mais comment diable arriver à rendre tout ceci intelligible en français ?
J’ai la chance que précisément, les habitants d’Aoste ne comprennent pas tous ce que veut dire Schiavone quand il parle romain. L’auteur utilise donc un certain nombre de procédés pour appuyer sur la distinction entre ce dialecte et l’italien standard : parfois, c’est le second de Schiavone, Italo Pierron, qui « traduit » les propos de son supérieur, parfois c’est Schiavone lui-même qui se livre à des mises au clair, et parfois, le plus beau à mon avis, la poésie du romanaccio parle d’elle-même. Par exemple page 276 de Ombres et poussières, après un fiasco judiciaire qui a gâché des semaines de travail, voici un échange entre le médecin légiste et Rocco Schiavone :

« – En tout cas, on a été forts, cette fois aussi, non ?
­– Ariconsolamose co’ l’ajetto.
– Tu pourrais parler italien ? Langue que, ça te semblera bizarre, on parle encore dans toute la péninsule et qu’on utilise pour se comprendre malgré nos énormes différences anthropologiques et sociales ?
– « On se console avec l’ail. » C’est une expression. Pas besoin d’autres explications, je crois. »

Échangez-vous avec Antonio Manzini au sujet de vos traductions ?
Rarement. J’ai eu la chance de le rencontrer lors d’un de ses passages en France, et nous avons beaucoup discuté de la manière de traduire le parler de ses différents personnages. C’était en 2017, au moment des élections présidentielles, et nous en sommes venus à parler de Jean Lasalle. Il m’a dit : « Tiens, tu vois, D’Intino [un agent originaire des Abruzzes], fais-le parler comme lui, qu’on comprend rien. »
À part ça, en termes de conseil, j’ai fidèlement suivi celui qu’Antonio Manzini lui-même tenait de Camilleri à qui il demandait comment écrire une série qui tienne la route : « Débrouille-toi !».

Ombres et poussières date de 2017, il en reste visiblement encore à traduire, vous nous en dites quelques mots ?
Il y a à ce jour encore cinq tomes parus en Italie et non traduits en France. Les deux suivants (Faites vos jeux et Rien ne va plus) forment une sorte de diptyque autour d’une affaire complexe de casino. Ils mettent un peu de côté l’histoire personnelle de Schiavone pour se concentrer sur les enquêtes. Dans Ah, l’amore, l’amore, Schiavone doit mener l’enquête depuis un lit d’hôpital. Avec Vecchie conoscenze, on replonge dans le passé de notre enquêteur préféré, puis Le ossa parlano prend un tour plus sombre.
Antonio Manzini est un auteur très prolifique et vu son rythme d’écriture cette série semble avoir une fonction cathartique pour lui.
J’espère que les éditions Denoël choisiront de poursuivre cette série, qui en vaut, à mon avis, la peine.

Avez-vous vu la série qui en a été tirée ?
La Rai a adapté les livres de Rocco Schiavone en une série de téléfilms, qui ont eu pas mal d’écho en Italie – notamment parce que les syndicats de policiers s’offusquaient de voir un vicequestore fumer des joints, dire des gros mots et frapper des suspects, des choses qui n’existent pas dans la réalité…
Antonio Manzini, scénariste de métier, a participé à l’écriture des épisodes, et ils sont très proches de l’univers des livres. L’acteur Marco Giallini en particulier est très crédible en Schiavone – même si à mon avis, l’auteur lui-même aurait fait une version pas mal du tout [il est aussi acteur]. C’est toujours perturbant de voir les personnages que l’on a côtoyés incarnés par des acteurs, qui ne ressemblent pas toujours à ce qu’on imaginait. Par exemple, Furio, un ami de Rocco, est joué par un gros biker barbu aux cheveux longs, alors que je le voyais chauve et sec.

Et pour finir, alors, quand doit-on utiliser Sticazzi ?
Je laisse le soin de cette réponse à Rocco (Ombres et poussières, p. 60) :

Rocco frappa du poing sur la table.
« Bon, il est temps qu’au Nord, vous commenciez à apprendre l’usage exact des termes et locutions romaines. Sticazzi s’emploie quand on n’a rien à foutre de quelque chose. Par exemple : Tu sais qu’il y a quatre mille habitant à Saint-Vincent ? Sticazzi, tu peux répondre. C’est-à-dire : on s’en fout. La manière dont vous l’utilisez est fausse, Italo. Tu dois chercher une aiguille dans une botte de foin ? Alors il faut dire : mecojoni ! Mecojoni indique la stupeur, on l’utilise pour dire : ben mince ! Tu comprends la différence, Italo ? Tu ne peux pas utiliser sticazzi pour exprimer l’émerveillement, la surprise. J’ai gagné 40 millions d’euros à la loterie ? Mecojoni, il faut dire ! Si tu dis sticazzi, ça veut dire : j’en n’ai rien à foutre. Voilà. On recommence. Deruta et D’Intino doivent chercher tous les trans d’Aoste et de la région. Toi, qu’est-ce que tu dois dire ?
Mei cojoni ?
Mecojoni, le corrigea-t-il.
Mecojoni.
— Bravo, Italo. À Courmayeur il y a un funiculaire ?
Sticazzi.
— Parfait. Tu viens d’apprendre l’article 7 de la constitution romaine, qui dit : un sticazzi bien placé résout mille problèmes.

Pour aller plus loin

Les romans d’Antonio Manzini, traduits par Samuel Sfez, sont publiés chez Denoël et Folio.
La série télévisée Rocco Schiavone