Interview avec Jacques Moulins – La montée des extrêmes en Europe

Jacques Moulins - Le Réveil de la bête - Retour à Berlin - Gallimard - Série Noire - Folio - Milieu Hostile

Nous avions été marqués par le premier roman de Jacques Moulins, Le Réveil de la bête, publié à la Série Noire. La « suite », un an plus tard, Retour à Berlin (toujours chez le même éditeur), étant tout aussi passionnante, nous avons posé quelques questions à l’auteur. En attendant le troisième roman…

À l’instar des personnages qui sont traqués dans votre roman, on ne sait pas grand-chose de vous. Vous pourriez nous en dire plus ?
J’ai senti très jeune, à l’âge de 13 ans, le besoin de créer, d’écrire. Quelques années après, j’ai su que ce serait ma liberté et que je ne pouvais l’asservir à un métier. Comme les cultures et les sociétés me passionnent, j’ai choisi d’être journaliste, ce qui avait l’avantage de me plonger dans le réel qui, pour moi, reste le matériau premier de l’écrivain. J’ai d’abord travaillé dans un quotidien, puis dans une agence de presse d’information générale qui couvre l’Europe. J’y travaille toujours.

En 2020 sort Le Réveil de la bête, suivi un an plus tard par Retour à Berlin. Vous aviez cette idée de suite en tête ?
Je savais que le sujet, l’intrigue, le nombre assez élevé de personnages ne pouvaient se développer en un seul roman. J’ai pensé dès le début à une trilogie avec trois capitales européennes comme lieux principaux de l’action.

Jacques Moulins - Le Réveil de la bête - Retour à Berlin - Gallimard - Série Noire - Folio - Milieu Hostile

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à ces groupes, « appelons-les ultranationalistes », leurs méthodes « proches de celles de la mafia », dont les buts sont particulièrement effrayants et graves pour la démocratie ?
Ce n’est pas moi qui m’intéresse à eux, ce sont eux qui s’imposent dans notre vie. La montée des extrêmes est une réalité qui dépasse l’Europe, mais je m’y suis cantonné. Évidemment nous, Européens, qui avons connu la brutalité du XXe siècle dont les stigmates se lisent encore sur les murs des villes et les prises de position politique, nous faisons le parallèle avec les années 1930. Mais les partis populistes et nationalistes savent très bien se démarquer de ce qui reste une image d’horreur pour les opinions publiques. Dégager des bases, des méthodes d’organisation et de financements communes et le faire en dramatisant, au sens théâtral, le sujet, c’est ce que permet le roman.

Pour le personnage de Salvère, le danger est mal estimé car trop de gens n’ont qu’une vision du terrorisme : « peut-être parce que tu penses trop Daech. Comme Brenner, comme notre direction générale, du moins l’ancienne, et beaucoup trop de membres de la commission ». Qu’en pensez-vous ?
La façon dont ont travaillé les services de renseignements allemands répond à la question. Pendant des années, leur direction s’est refusée à considérer les organisations néo-nazis comme potentiellement terroristes. Les renseignements n’ont pas vu venir les attentats et les assassinats. Ce qui a valu à son directeur d’être limogé par Angela Merkel. Mes romans se font également l’écho de ceux qui plaident pour un élargissement de l’Europe à de nouvelles compétences, pas seulement au niveau des polices et de la justice. La création du parquet européen est un premier pas.

D’un autre côté, on sent et voit Salvère complètement démuni face à ces groupes mouvants, dont les alliances se créent au fur et à mesure des projets qu’ils montent. Difficile d’appréhender « ce nouveau terrorisme » et encore plus de le contrer, non ?
C’est certain, d’autant que j’accorde à Europol et au parquet européen des pouvoirs qui ne sont pas les leurs. Les organisations qui ne rechignent pas au terrorisme pour accéder au pouvoir se moquent, comme les mafias, des frontières alors que les États restent jaloux de leurs prérogatives désuètes dans un monde où Internet fait l’opinion. Sur ce dernier point, les enquêteurs ont toujours un temps de retard. L’investissement dans les réseaux sociaux et la désinformation menés par des organisations, et des gouvernements qui sont prêts à leur donner un coup de main, donne toujours un temps de retard à Salvère et à son équipe. C’est finalement par une enquête policière tenace qu’une certaine réalité prend forme.

Ce n’est pas moi qui m’intéresse à eux, ce sont eux qui s’imposent dans notre vie. La montée des extrêmes est une réalité qui dépasse l’Europe, mais je m’y suis cantonné.

On le sent aussi démuni lorsqu’il rencontre une vieille amie, qui donne des cours à Science Po, qui étudie l’extrême droite et dont… il n’apprend rien…
Au premier abord, il n’apprend rien pour son enquête, mais la façon dont Alice analyse les mouvements va le titiller et lui ouvrir des pistes nouvelles. Bien qu’il s’agisse de romans policiers, l’évolution des personnages est tout aussi importante que celle de l’intrigue. Si leur regard sur l’autre et sur la société reste figé, leurs moyens sont réduits tant au niveau relationnel que professionnel. Salvère n’aime guère qu’on lui fasse la leçon, mais il sait écouter. Même lorsque les paroles viennent d’une personne que d’abord il n’apprécie guère.

Vos romans est particulièrement marquant par la description pointue du fonctionnement d’Europol. D’où avez-vous tiré toute cette matière ?
Europol a une organisation semblable à celle que je décris. Mais, dans mes romans, elle est surtout la métaphore de l’Europe. Les pressions des gouvernements nationaux interfèrent dans les stratégies, souvent à des fins purement politiciennes, pour favoriser la réélection des gens en place. Salvère se bat pour bien faire son travail, en dehors des pressions, même s’il n’est pas innocent et sait les utiliser. Quant à l’ultra-droite, lorsqu’elle prend le pouvoir comme en Hongrie, pourtant un petit pays, toute l’Europe en est impactée. Les États membres ont souvent pensé que le phénomène était passager, qu’ils pouvaient le gérer, voire s’en servir pour créer des rapports de force en leur faveur. On voit aujourd’hui que la montée des extrêmes est durable et que c’est une illusion de croire qu’on peut les noyer dans une alliance. L’Europe se saisit de la question avec ses moyens, encore bien faibles.

Jacques Moulins - Le Réveil de la bête - Retour à Berlin - Gallimard - Série Noire - Folio - Milieu HostileMais il l’est tout aussi par la minutie avec laquelle vous avez créé vos personnages, qui se dévoilent au fur et à mesure de ces deux tomes. Comment les avez-vous construits ?
Lorsque je commence à écrire, je n’ai que quelques phrases qui s’imposent à moi. Ces phrases décrivent un personnage, pas une intrigue. Ce sont les personnages qui, en évoluant, font l’intrigue. Je les découvre en même temps que j’écris, mais je fais bien sûr des aller-retours pour rendre plausible le déroulement du roman. La vie est assez riche pour offrir des détails glanés ici ou là qui révèlent des tendances de la société. Il faut les incarner dans des personnages qui n’ont pas de modèle sinon ça n’a plus la force de la littérature, son pouvoir de créer de l’imaginaire. Salvère s’est vite imposé, mais il ne pouvait épouser les formes du privé solitaire ou du policier psychologue. Il devait travailler en équipe, d’où l’importance des relations avec ses collègues Elsa et Adrijana. Ce n’est d’ailleurs pas lui qui découvre les éléments les plus révélateurs.

Personnages avec qui, sans dévoiler la fin de Retour à Berlin, nous allons encore cheminer au moins un roman, non ?
Oui, le troisième de ce qui constitue finalement une trilogie, même si chaque roman est lisible indépendamment des autres. Il sortira en février prochain, avec l’Italie comme cadre principal.  Quand je l’ai écrit, je ne savais pas encore que des Menaces italiennes, c’est le titre, pèseraient tant sur ce pays.

Pour aller plus loin

Les romans de Jacques Moulins sont publiés par Gallimard

Interview avec Jacques Moulins – La montée des extrêmes en Europe - Milieu Hostile

Interview avec Jacques Moulins – La montée des extrêmes en Europe

Jacques Moulins - Le Réveil de la bête - Retour à Berlin - Gallimard - Série Noire - Folio - Milieu Hostile

Nous avions été marqués par le premier roman de Jacques Moulins, Le Réveil de la bête, publié à la Série Noire. La « suite », un an plus tard, Retour à Berlin (toujours chez le même éditeur), étant tout aussi passionnante, nous avons posé quelques questions à l’auteur. En attendant le troisième roman…

À l’instar des personnages qui sont traqués dans votre roman, on ne sait pas grand-chose de vous. Vous pourriez nous en dire plus ?
J’ai senti très jeune, à l’âge de 13 ans, le besoin de créer, d’écrire. Quelques années après, j’ai su que ce serait ma liberté et que je ne pouvais l’asservir à un métier. Comme les cultures et les sociétés me passionnent, j’ai choisi d’être journaliste, ce qui avait l’avantage de me plonger dans le réel qui, pour moi, reste le matériau premier de l’écrivain. J’ai d’abord travaillé dans un quotidien, puis dans une agence de presse d’information générale qui couvre l’Europe. J’y travaille toujours.

En 2020 sort Le Réveil de la bête, suivi un an plus tard par Retour à Berlin. Vous aviez cette idée de suite en tête ?
Je savais que le sujet, l’intrigue, le nombre assez élevé de personnages ne pouvaient se développer en un seul roman. J’ai pensé dès le début à une trilogie avec trois capitales européennes comme lieux principaux de l’action.

Jacques Moulins - Le Réveil de la bête - Retour à Berlin - Gallimard - Série Noire - Folio - Milieu Hostile

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à ces groupes, « appelons-les ultranationalistes », leurs méthodes « proches de celles de la mafia », dont les buts sont particulièrement effrayants et graves pour la démocratie ?
Ce n’est pas moi qui m’intéresse à eux, ce sont eux qui s’imposent dans notre vie. La montée des extrêmes est une réalité qui dépasse l’Europe, mais je m’y suis cantonné. Évidemment nous, Européens, qui avons connu la brutalité du XXe siècle dont les stigmates se lisent encore sur les murs des villes et les prises de position politique, nous faisons le parallèle avec les années 1930. Mais les partis populistes et nationalistes savent très bien se démarquer de ce qui reste une image d’horreur pour les opinions publiques. Dégager des bases, des méthodes d’organisation et de financements communes et le faire en dramatisant, au sens théâtral, le sujet, c’est ce que permet le roman.

Pour le personnage de Salvère, le danger est mal estimé car trop de gens n’ont qu’une vision du terrorisme : « peut-être parce que tu penses trop Daech. Comme Brenner, comme notre direction générale, du moins l’ancienne, et beaucoup trop de membres de la commission ». Qu’en pensez-vous ?
La façon dont ont travaillé les services de renseignements allemands répond à la question. Pendant des années, leur direction s’est refusée à considérer les organisations néo-nazis comme potentiellement terroristes. Les renseignements n’ont pas vu venir les attentats et les assassinats. Ce qui a valu à son directeur d’être limogé par Angela Merkel. Mes romans se font également l’écho de ceux qui plaident pour un élargissement de l’Europe à de nouvelles compétences, pas seulement au niveau des polices et de la justice. La création du parquet européen est un premier pas.

D’un autre côté, on sent et voit Salvère complètement démuni face à ces groupes mouvants, dont les alliances se créent au fur et à mesure des projets qu’ils montent. Difficile d’appréhender « ce nouveau terrorisme » et encore plus de le contrer, non ?
C’est certain, d’autant que j’accorde à Europol et au parquet européen des pouvoirs qui ne sont pas les leurs. Les organisations qui ne rechignent pas au terrorisme pour accéder au pouvoir se moquent, comme les mafias, des frontières alors que les États restent jaloux de leurs prérogatives désuètes dans un monde où Internet fait l’opinion. Sur ce dernier point, les enquêteurs ont toujours un temps de retard. L’investissement dans les réseaux sociaux et la désinformation menés par des organisations, et des gouvernements qui sont prêts à leur donner un coup de main, donne toujours un temps de retard à Salvère et à son équipe. C’est finalement par une enquête policière tenace qu’une certaine réalité prend forme.

Ce n’est pas moi qui m’intéresse à eux, ce sont eux qui s’imposent dans notre vie. La montée des extrêmes est une réalité qui dépasse l’Europe, mais je m’y suis cantonné.

On le sent aussi démuni lorsqu’il rencontre une vieille amie, qui donne des cours à Science Po, qui étudie l’extrême droite et dont… il n’apprend rien…
Au premier abord, il n’apprend rien pour son enquête, mais la façon dont Alice analyse les mouvements va le titiller et lui ouvrir des pistes nouvelles. Bien qu’il s’agisse de romans policiers, l’évolution des personnages est tout aussi importante que celle de l’intrigue. Si leur regard sur l’autre et sur la société reste figé, leurs moyens sont réduits tant au niveau relationnel que professionnel. Salvère n’aime guère qu’on lui fasse la leçon, mais il sait écouter. Même lorsque les paroles viennent d’une personne que d’abord il n’apprécie guère.

Vos romans est particulièrement marquant par la description pointue du fonctionnement d’Europol. D’où avez-vous tiré toute cette matière ?
Europol a une organisation semblable à celle que je décris. Mais, dans mes romans, elle est surtout la métaphore de l’Europe. Les pressions des gouvernements nationaux interfèrent dans les stratégies, souvent à des fins purement politiciennes, pour favoriser la réélection des gens en place. Salvère se bat pour bien faire son travail, en dehors des pressions, même s’il n’est pas innocent et sait les utiliser. Quant à l’ultra-droite, lorsqu’elle prend le pouvoir comme en Hongrie, pourtant un petit pays, toute l’Europe en est impactée. Les États membres ont souvent pensé que le phénomène était passager, qu’ils pouvaient le gérer, voire s’en servir pour créer des rapports de force en leur faveur. On voit aujourd’hui que la montée des extrêmes est durable et que c’est une illusion de croire qu’on peut les noyer dans une alliance. L’Europe se saisit de la question avec ses moyens, encore bien faibles.

Jacques Moulins - Le Réveil de la bête - Retour à Berlin - Gallimard - Série Noire - Folio - Milieu HostileMais il l’est tout aussi par la minutie avec laquelle vous avez créé vos personnages, qui se dévoilent au fur et à mesure de ces deux tomes. Comment les avez-vous construits ?
Lorsque je commence à écrire, je n’ai que quelques phrases qui s’imposent à moi. Ces phrases décrivent un personnage, pas une intrigue. Ce sont les personnages qui, en évoluant, font l’intrigue. Je les découvre en même temps que j’écris, mais je fais bien sûr des aller-retours pour rendre plausible le déroulement du roman. La vie est assez riche pour offrir des détails glanés ici ou là qui révèlent des tendances de la société. Il faut les incarner dans des personnages qui n’ont pas de modèle sinon ça n’a plus la force de la littérature, son pouvoir de créer de l’imaginaire. Salvère s’est vite imposé, mais il ne pouvait épouser les formes du privé solitaire ou du policier psychologue. Il devait travailler en équipe, d’où l’importance des relations avec ses collègues Elsa et Adrijana. Ce n’est d’ailleurs pas lui qui découvre les éléments les plus révélateurs.

Personnages avec qui, sans dévoiler la fin de Retour à Berlin, nous allons encore cheminer au moins un roman, non ?
Oui, le troisième de ce qui constitue finalement une trilogie, même si chaque roman est lisible indépendamment des autres. Il sortira en février prochain, avec l’Italie comme cadre principal.  Quand je l’ai écrit, je ne savais pas encore que des Menaces italiennes, c’est le titre, pèseraient tant sur ce pays.

Pour aller plus loin

Les romans de Jacques Moulins sont publiés par Gallimard