Interview DOAPukhtu

Pukhtu - DOA

Initialement prévu en un livre, Pukhtu s’est retrouvé scindé en deux, provoquant l’attente. La sortie du second tome ce mois ci – lecture obligatoire du premier avant – est l’occasion pour nous de revenir sur sa genèse et son écriture avec DOA, avant qu’il nous livre quelques pistes sur ce que nous pourrons lire… un jour.

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous attaquer à l’Afghanistan ?
Ce roman s’inscrit dans une continuité littéraire, celle de Citoyens clandestins et du Serpent aux mille coupures. L’origine du roman est là. L’ancrage dans le réel et, en particulier pour le premier, dans un cadre historique proche – 11 septembre 2001 à 21 Avril 2002 – était l’une des choses qui avaient séduit les lecteurs. Je souhaitais garder cette dimension pour une éventuelle suite / conclusion. Pour autant, je ne voulais pas refaire un roman limité à la France qui serait un décalque amélioré des précédents, une nouvelle histoire de lutte entre services autour d’un attentat. C’est en réfléchissant à ces contraintes que je suis arrivé au conflit afghan, conséquence première de l’attentat de 2001 contre le World Trade Center de New York. Puis, en creusant la question de l’Afghanistan, je me suis arrêté aux années 2008 et 2009, période de transition présidentielle aux Etats-Unis et tournant dans la guerre. Ainsi est apparu un premier cadre géographique et temporel, je précise « premier » parce que l’action du récit final est, à l’image des phénomènes qu’il aborde, mondialisée.

Pukhtu - DOA
©DaWulf2013 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)

Pourquoi aborder ce livre du point de vue américain ? Cela a-t-il ajouté une contrainte supplémentaire ?
La guerre en Afghanistan, surtout à cette période, est avant tout américaine, même si elle est officiellement menée par l’OTAN, et qu’est-ce que l’OTAN si ce n’est une organisation américano-centrée ? Ce sont les provinces, les théâtres d’opération américains – et dans une moindre mesure anglais – qui subissent l’essentiel du regain de violence à ce moment du conflit et ce sont ces mêmes américains qui sont en première ligne dans la Guerre contre la terreur. Par ailleurs, c’est aussi aux Etats-Unis que se produit un phénomène sans précédent et durable de privatisation de la chose militaire. Il m’a donc semblé logique, voulant aborder ces thèmes, de choisir un angle américain. Et oui, cela posait des problèmes spécifiques. Nous nous sentons proches des Etats-Unis, héritage de l’histoire et conséquence de la façon dont leur culture est diffusée sur l’ensemble de la planète, pour autant, mettre en scène des personnages américains, implique d’arriver à les incarner et à les faire réagir « yankee ». Pas si simple.
Une précision cependant, ce « point de vue américain » n’en est qu’un parmi d’autres, plus présent dans la première moitié du roman (Primo) et beaucoup moins dans la seconde (Secundo).Pukhtu Primo - DOA

Le rendu afghan est vraiment impressionnant. Votre pseudo attisant les rumeurs les plus folles (« il est parti là-bas avec l’armée »), comment avez-vous travaillé pour avoir un tel rendu géographique et humain ?
Les gens sont libres de propager les rumeurs qu’ils souhaitent. A la longue il devient fatigant – et totalement vain – d’essayer de les dissiper. Par ailleurs, ces fantasmes disent finalement plus de choses sur les paranos de ceux qui les propagent que sur moi. Je suis parvenu à ce « rendu » par un exhaustif travail documentaire – le plus exhaustif possible à mon petit niveau du moins – fait de voyages, de rencontres, de lectures, de visionnages, nombreux – très très nombreux, même – suivi d’une lente digestion, sélection, discrimination, pour en retenir l’essentiel, le saillant, le frappant puis d’une réflexion sur la construction du récit et la langue, l’expression, le mot juste, précis, qui place, rend compte, ancre la narration dans le lieu, le temps et l’esprit de l’action. Idem pour les personnages. Ce travail vient également s’appuyer sur une imagerie – médiatique, cinématographique, télévisuelle – très présente dans l’inconscient collectif depuis 2001. Ainsi avec le bon stimuli littéraire, on peut déclencher à la fois la mémoire et l’imagination des lecteurs et ils produisent eux-mêmes une partie du rendu en question.

Pukhtu - DOA
© Creative Commons

Combien de temps avez-vous mis – et comment l’avez-vous scindé ? – entre l’idée et le rendu du 2ème tome. D’ailleurs, pourquoi ces deux parties et ce décalage entre les dates annoncées ?
J’ai commencé à réfléchir à ce troisième volet du cycle initié par Citoyens clandestins pendant l’été 2010, quand Dominique Manotti et moi rédigions L’honorable société, et j’ai terminé Secundo en juin cette année. Il m’a donc fallu six ans pour écrire Pukhtu. Et, il ne s’agit pas tant de deux tomes – même si physiquement, il y a deux volumes – que de deux moitiés d’un même roman. Nous avons dû le couper pour des raisons pratiques : d’un seul tenant, il aurait été trop gros. Prendre cette décision n’a pas été simple pour moi, même si choisir l’endroit de la césure n’a pas été très difficile. J’ai divisé quand je suis parvenu à mi-parcours dans mon plan, à un moment où, pour les personnages principaux de la première partie, l’action est suspendue et le vent tourne. Le risque était celui d’une frustration du lecteur, mais nous l’avons accepté d’un commun accord avec Aurélien Masson, le directeur de collection de la Série Noire, préférant laisser les gens sur un temps fort.Pukhtu Secundo - DOA

Comment s’est passé le travail entre les deux parties ?
Maintenant que j’ai terminé, je peux le dire, la seconde partie du texte m’a beaucoup coûté. J’ai clairement présumé de mes forces en ne prenant pas le temps d’une réelle pause dans mon travail. Agacé par la piètre qualité d’une première version du récit, je me suis lancé tête baissée dans l’élaboration d’un second plan. Après un an de travail, j’ai enchaîné immédiatement avec la rédaction de la partie un et le début de la seconde, environ un quart, parce que je voulais verrouiller certaines choses avant de ne plus pouvoir modifier le contenu du texte initial à paraître. Cette étape de rédaction m’a également occupé une année. Elle a été suivie par la sortie et la promotion de Primo, période peu propice au repos et à la prise de distance par rapport à son texte. Puis j’ai attaqué la suite et la fin de Secundo. Il a fallu retrouver ma voix, mon rythme et tenir. Entretemps, et c’est mon erreur, j’ai pris très peu de vacances, moins d’une vingtaine de jours en trois ans, obsédé par l’idée de terminer ce texte, qui m’occupait déjà depuis cinq ans. Je travaille six jours sur sept, à peu près huit heures par jour, dont quatre à cinq d’écriture proprement dite et le reste de corrections et, sans être la mine, il faut raison garder, c’est un boulot assez difficile et soutenu. J’ai souvent utilisé avec mes proches une parabole montagnarde pour évoquer ce roman : Pukhtu, c’était mon K2 à moi, sauf qu’à la fin, au lieu de l’aborder bien équipé, par la voie la plus simple, je l’ai escaladé en short et tongs, sans oxygène, par la face nord.

La langue doit être simple, limpide, éviter les fioritures. Moins égal plus.

Comment arrivez-vous à maintenir une telle tension et un tel style sur tant de pages (un effort titanesque) ?
Écrire sérieusement est toujours une lutte, un effort. Peut-être le talent est-il important, mais il n’est rien sans un travail acharné. La tension, elle commence à prendre corps au moment de la construction du roman, quand on imagine sa mécanique, son rythme, ses enchaînements. Cette phase, le plan, est ingrate, le livre est là sans y être, on façonne un patron, on dégrossit la matière brute produite par la recherche / réflexion et on ne peut pas lâcher les chevaux puisque l’on n’écrit pas encore véritablement. Je l’ai déjà dit, il y a eu deux versions de plan pour Pukhtu. La première que j’ai balancée avec le jet initial du texte, après trois ans de boulot. Pas à la hauteur. La seconde, achevée en une année, avant de passer à l’écriture de la nouvelle mouture du roman. J’aime procéder de cette façon – et, à vrai dire, je ne sais pas faire autrement – : recherche puis construction minutieuse puis écriture. Ça me rassure et me permet d’éliminer les problèmes au fur et à mesure. Un plan solide laisse tout loisir de se concentrer sur la forme.
Je ne sais pas si j’ai un style, ni ce qu’il vaut. De ce point de vue, je ne me fais pas confiance. J’avance donc en gardant deux choses à l’esprit : d’une part, la prose doit être adaptée aux situations et aux personnages qu’elle convoque, elle est le reflet de ceux-ci. Par exemple, la longueur des phrases rythme l’action et chaque protagoniste possède son parler propre. D’autre part, la langue doit être simple, limpide, éviter les fioritures. Moins égal plus. Je coupe donc beaucoup. Y compris dans les situations exposées dans le plan, quand elles se répètent ou s’avèrent peu utiles ou « casse-rythme ».

Pourquoi une telle méticulosité sur les armes ? Doit-on être forcément si précis quand on sait que 99% des lecteurs n’apprécieront jamais cet effort à sa juste valeur…

Pukhtu - DOA
©Marines


Ah, les guns, le grand tabou intello-médiatique français. Parlez-en dix secondes, en réaction à une question très secondaire posée dans le cadre d’une interview fleuve de trois heures sur l’état du monde et la littérature et, pour faire de la mousse, on colle cette réponse-là en titre. Ensuite, ça n’arrête plus et ça ressort de tous les côtés, sans compter les dégâts que cela cause à votre travail, irrémédiablement marqué par cette idée. Dans Pukhtu, il y a de la violence et de la guerre. Celles-ci s’expriment le plus souvent par les armes. Donc, il y a des armes. Mais pas que. Et comme Pukhtu est un livre qui aspire à la précision, il est également précis sur les armes. Mais pas que. Quant à votre statistique, je ne sais pas d’où elle sort et je m’en fous. Je n’écris pas pour 99% des lecteurs, je n’écris même pas pour le 1% restant. J’écris pour une seule personne, qui aime les romans érudits, foisonnants et méticuleux, ma pomme. Si le résultat plait, tant mieux, sinon, tant pis pour ma gueule.

Avec ce deuxième tome, on vous sent en fin de parcours avec différents personnages rencontrés précédemment – triste vie – du coup, qu’envisagez-vous pour l’avenir ?
Je ne les quitterai véritablement qu’à la fin des trois ou quatre prochains mois de promotion. Je vais profiter de cette période de déplacements et de longs voyages ferroviaires pour creuser les thématiques de mes deux prochains projets littéraire : d’une part, à court terme, un récit sur les sexualités extrêmes et le BDSM, sorte de version trash et pathétique de Cinquante nuances de Grey, comme dans la vraie vie quoi, à deux voix, avec usage partiel de la première personne, une nouveauté pour moi. Et, d’autre part, à moyen long terme – j’anticipe une gestation équivalente à celle de Pukhtu – un roman sur un officier SS ayant existé. Si je visualise à peu près déjà le chemin narratif et l’angle du premier, le second va représenter un véritable défi, que je ne suis pas certain de parvenir à relever. Mais c’est là tout l’intérêt de la chose romanesque du point de vue de l’auteur : tenter, explorer, sortir de sa zone de confort, oser le risque. Après les barbus, rien que du glabre et de l’épilé, donc, ça ne va pas m’aider à améliorer ma sale réputation ou faire taire les rumeurs.

Pour aller plus loin

Portrait de DOA dans Sang Froid
DOA chez Gallimard