Interview de Pascale Dietrich – Les Mafieuses

Les Mafieuses - Pascale Dietrich

Nous avions découvert Pascale Dietrich avec Une île bien tranquille publié chez Liana Levi. Avec Les Mafieuses, elle quitte l’air pur des îles bretonnes pour celui pollué de Grenoble et ses environs… L’occasion pour nous de lui poser quelques questions.

Les Mafieuses est une histoire de famille, mettant en scène une mère et ses deux filles. Le père décède à l’hôpital et laisse une bien étrange volonté. Nous ne vous en dirons pas plus, c’est tout le sel du roman. Nous vous conseillons même de ne pas lire le quatrième de couverture pour avoir le plaisir de le découvrir. Le roman est vif, alerte, plein d’entrain sur des sujets graves. Pascale Dietrich est une plume à découvrir.

L’art d’écrire

Nous lisons que vous êtes sociologue à l’Ined à Paris et vos travaux portent sur « Inégalités, pauvreté, exclusion, habitat, politiques publiques, logement social, jeunes ». Voulez-vous nous dire quelques mots sur votre métier ?
Je travaille depuis longtemps sur les problèmes de logement et les conditions de vie des catégories populaires. J’ai fait une thèse de sociologie sur le logement insalubre à Paris, puis j’ai abordé la question des sans-domicile, des demandeurs de logements sociaux et, plus récemment, celle des jeunes sortant de l’Aide Sociale à l’Enfance (qui rencontrent fréquemment des problèmes pour se loger). Pour le dire rapidement, mon travail consiste à aller sur le terrain, à écouter les gens, et à analyser des enquêtes statistiques qui permettent de prendre de la hauteur avec ces situations. J’essaie de comprendre comment vivent et pensent des populations dont on sait peu de choses car elles se situent à la marge de la société.

Sur le site de l’Ined, on peut voir de nombreuses publications de votre part, quel a été le déclic pour vous lancer dans la littérature ?
A vrai dire, j’ai commencé à écrire de la littérature bien avant la sociologie ! Je dirais même que j’ai en partie choisi le métier de chercheuse car il comporte une grande part d’écriture. J’invente des histoires depuis que je suis gosse, même si ma première passion a été le dessin.Pascale Dietrich

Pour nous, vous maniez l’art d’écrire des polars sans avoir l’air d’y toucher. Quel est votre rapport au polar ? Comment le concevez-vous ?
J’écris des polars (et j’en lis), mais je me suis toujours sentie en décalage avec cette veine. Dans mes histoires, on est loin d’une enquête policière classique. Si j’ai besoin d’une intrigue comme ressort narratif, on pourrait presque dire que l’important est ailleurs : dans la psychologie des personnages, leur vision du monde, les dilemmes moraux qui se posent à eux, les situations cocasses dans lesquelles ils se retrouvent, etc. En outre, ma particularité, c’est d’écrire des comédies noires.

Nous vous découvrons avec Une île bien tranquille, mais avant il y avait eu quelques nouvelles, comment s’est opéré le passage du court au roman ?
J’ai toujours mené de front romans et nouvelles. J’apprécie les deux genres qui me semblent très complémentaires. La nouvelle me permet d’exploiter des idées qui ne peuvent pas faire l’objet d’un format long. Par exemple, j’ai écrit une nouvelle au sujet des mères qui ont choisi le prénom Jean-Pierre pour leur bébé. Pour une femme de ma génération, c’est totalement surréaliste de donner le sein à un Jean-Pierre ! Cette idée du mystère des « bébés-Jean-Pierre» permet de s’amuser dans un texte court, mais ça ne fait pas un roman. Du coup, j’alterne les deux styles. Ceci dit, j’ai mis du temps à publier des romans, alors que côté nouvelles, ça a été beaucoup plus vite. Quand on est un jeune auteur, le court est une excellente première marche pour débuter.Pascale Dietrich

Et comment s’est faite l’arrivée chez Liana Levi ?
J’avais déjà repéré la maison car sa ligne éditoriale laisse justement de la place à des ouvrages qui ne sont pas forcément des polars purs et durs (type Iain Levison). Quand j’ai rencontré l’équipe, j’ai senti que ça pouvait coller et je leur ai proposé “mon île”. Je suis très heureuse d’être publiée ici !

Liana Levi : « Pascale ? avec une plume légère, une imagination débordante et un humour réconfortant, elle nous entraîne dans des suspenses qui commencent comme des comédies et se terminent comme des polars. Tout en jonglant avec les codes du genre. Quoi de mieux que ce qui sort des clous ? »

Une île bien tranquille

Comment avez-vous abordé ce travail sur l’insularité ?
Ce livre, je l’ai écrit en grande partie en Bretagne, dans le Finistère Nord, où mes parents venaient de s’installer. J’ai tout de suite eu un coup de cœur pour cette région qui est loin de tout. C’est là que j’ai eu l’idée de l’île (Ouessant est d’ailleurs tout près). L’île, c’est le décor parfait pour un roman noir. On a un espace clos dont il est difficile de s’enfuir, éloigné de la société, invisible des yeux du continent. Je voulais un lieu où se retrouvent des personnes en quête de quelque chose et où il est possible de faire des expériences illégales en toute discrétion. J’avais aussi envie de travailler le changement de perspective qui se produit quand on passe d’un lieu central, comme Paris, à un lieu coupé du monde. On regarde soudain les choses différemment. Et puis, l’île est le lieu de l’imagination. Ça a un côté hors du temps, presque fantastique. Bref, je trouvais cet univers très stimulant.

Ce roman bascule insidieusement dans le noir, comment l’avez-vous construit ?
Je pars en général d’une minuscule idée et travaille l’intrigue au fil de l’écriture. Au départ, j’avais juste cette île en tête, et aussi le personnage principal, Edelweiss, qui retourne sur les lieux de son enfance et les trouve bien changés. Je me disais que j’irais forcément vers quelque chose de noir, mais je ne savais pas encore quoi. Puis, frappée par la rapidité avec laquelle la végétation poussait dans le jardin de mes parents, ça m’a donné des idées (mais je n’en dis pas plus pour ceux qui n’ont pas lu le roman).

L’île, c’est le décor parfait pour un roman noir.

Et comment écrire un polar sans flic, sans enquêtrice, bref, sans codes ?
D’une façon générale, j’ai beaucoup de mal avec les codes et les normes ! Les personnages de mes romans sont des gens ordinaires. Ce qui m’intéresse, c’est que le lecteur se sente au plus près d’eux et de leur manière de penser, aussi étrange soit-elle. Si bien qu’au bout d’un moment, même quand ils commettent les choses les plus amorales, on continue à les aimer et on trouve ce qu’ils font parfaitement naturel.

Quel a été le retour des lecteurs face à ce polar caché en littérature blanche ?
Si certains fans de polar « pur et dur » peuvent sans doute être un peu désorientés, j’ai l’impression qu’il y a aussi tout un lectorat enthousiaste. Pourvu qu’il grossisse !

Les Mafieuses

D’où vous est venue cette idée de famille ? De ces femmes ? Pour un livre dédicacé à « Ma grand-mère, ma mère et ma sœur ».
Quand j’ai commencé Les Mafieuses, je voulais continuer avec des personnages féminins (c’est le cas dans la plupart de mes histoires), et parler de la mafia sous un angle inhabituel en donnant la voix à des personnages souvent laissés au second plan. Or, les femmes ont un rôle crucial dans la mafia : ce sont elles qui épaulent les hommes, les remplacent quand ils sont en prison, elles transmettent les valeurs du système aux enfants, gèrent l’argent, etc… J’avais envie de dévoiler ce rôle invisible. Dans beaucoup de domaines, les femmes ont un rôle dans l’ombre mais ont en réalité beaucoup de pouvoir.
Un autre objectif était de parler de la famille et de ce qui change selon les générations. Les femmes de mon âge ont un rapport à la vie (professionnelle, conjugale, etc.) différent de celui de nos mères et encore plus de nos grands-mères. Ma grand-mère me raconte souvent que, « de son temps », les hommes n’osaient pas pousser une poussette dans la rue, que cela ne se faisait pas. Au-delà de la mafia, les trois femmes des Mafieuses sont assez représentatives de leurs époques respectives.Pascale Dietrich

Et ce point de départ que nous aimerions bien ne pas dévoiler aux lecteurs ?
À l’époque, je m’intéressais à la question du coma. Je voulais un personnage qui soit dans cette situation et tienne malgré tout un rôle central dans l’histoire. Puis j’ai eu une idée pour que son ombre plane sur tout le roman. Je n’en dis pas plus !

Marc Villard : « Mon premier contact avec Pascale Dietrich fut postal. Un manuscrit que j’acceptai rapidement. Le second, c’était rue de Bretagne et je cru qu’elle m’avait envoyé sa fille au pair. Elle fait très jeune, d’où ma méprise. La troisième fois, elle était enceinte mais c’était son deuxième. Pas d’inquiétude. Maintenant nous déjeunons dans un thaïlandais qui sert aussi du vin (j’ai insisté). Pour 2019, j’envisage une gargote à boudin-purée. Voilà pour le live. Concernant ses textes, j’ai été charmé par sa rapidité/simplicité à rentrer dans ses histoires, son ton vif, son écriture sautillante. Elle ne donne pas de leçons mais sait contourner les codes, comme dans Les Mafieuses. Elle est aussi chercheuse. Mais je m’en fiche, car je la considère surtout comme un écrivain.»

Comment travaillez-vous ce style alerte, plein de mordant et d’humour fin et léger ?
C’est sans doute cela qui me demande le plus de travail. J’écris, reformule, coupe, ajoute, tout ça des dizaines de fois, jusqu’à trouver le ton que me semble juste. L’humour est une mécanique compliquée. Pour que ça fonctionne, il faut rester dans la nuance tout en trouvant des idées et des images qui ne sont pas dans la suite logique de la pensée ordinaire. Il faut qu’il y ait une surprise. L’enjeu est de ne jamais en faire trop tout en allant le plus loin possible.

Dina perd foi en l’humanitaire. Vous qui travaillez sur ces sujets, quel est votre avis ?
Quand j’ai écrit Les Mafieuses, je traversais une période de désillusion. Je m’apercevais que la logique du profit et les nouvelles méthodes managériales envahissaient des domaines jusqu’alors préservés. C’est le cas du secteur de l’action envers les pauvres qui est désormais soumis à la concurrence, fonctionne par appel d’offre et répond à des impératifs financiers. Les frontières entre les secteurs lucratifs et non-lucratifs sont de plus en plus floues et le monde s’aligne sur des normes aberrantes. Dina et Alessia sont très conscientes de ça, chacune à sa façon. D’ailleurs, Alessia dit à un moment qu’elle voit mal dans quel secteur professionnel pourra s’épanouir sa sœur, qui a un sens fort de l’éthique : la seule piste qui lui vient à l’esprit, c’est gardienne de phare. À notre époque, mieux vaut sans doute ressembler à Alessia qu’à Dina. Une autre idée qui me taraudait, c’est le fait qu’on demande à l’humanitaire de réparer la casse produite par un système injuste. Bien sûr, ce serait pire sans cette aide, mais on peut aussi se dire que tout ça fait système. Je dis ça sans intention de critiquer les gens qui travaillent dans ce secteur et ont des valeurs humanistes : comme beaucoup d’entre nous, ils se retrouvent confrontés à une organisation qui les met dans des positions intenables.

Pour aller plus loin

Pascale Dietrich chez son éditrice, Liana Levi
Et chez In8 pour un recueil de nouvelles et un roman noir
Merci à Liana Levi et à Marc Villard pour leurs bons mots.

Interview de Pascale Dietrich - Les Mafieuses - Milieu Hostile

Interview de Pascale Dietrich – Les Mafieuses

Les Mafieuses - Pascale Dietrich

Nous avions découvert Pascale Dietrich avec Une île bien tranquille publié chez Liana Levi. Avec Les Mafieuses, elle quitte l’air pur des îles bretonnes pour celui pollué de Grenoble et ses environs… L’occasion pour nous de lui poser quelques questions.

Les Mafieuses est une histoire de famille, mettant en scène une mère et ses deux filles. Le père décède à l’hôpital et laisse une bien étrange volonté. Nous ne vous en dirons pas plus, c’est tout le sel du roman. Nous vous conseillons même de ne pas lire le quatrième de couverture pour avoir le plaisir de le découvrir. Le roman est vif, alerte, plein d’entrain sur des sujets graves. Pascale Dietrich est une plume à découvrir.

L’art d’écrire

Nous lisons que vous êtes sociologue à l’Ined à Paris et vos travaux portent sur « Inégalités, pauvreté, exclusion, habitat, politiques publiques, logement social, jeunes ». Voulez-vous nous dire quelques mots sur votre métier ?
Je travaille depuis longtemps sur les problèmes de logement et les conditions de vie des catégories populaires. J’ai fait une thèse de sociologie sur le logement insalubre à Paris, puis j’ai abordé la question des sans-domicile, des demandeurs de logements sociaux et, plus récemment, celle des jeunes sortant de l’Aide Sociale à l’Enfance (qui rencontrent fréquemment des problèmes pour se loger). Pour le dire rapidement, mon travail consiste à aller sur le terrain, à écouter les gens, et à analyser des enquêtes statistiques qui permettent de prendre de la hauteur avec ces situations. J’essaie de comprendre comment vivent et pensent des populations dont on sait peu de choses car elles se situent à la marge de la société.

Sur le site de l’Ined, on peut voir de nombreuses publications de votre part, quel a été le déclic pour vous lancer dans la littérature ?
A vrai dire, j’ai commencé à écrire de la littérature bien avant la sociologie ! Je dirais même que j’ai en partie choisi le métier de chercheuse car il comporte une grande part d’écriture. J’invente des histoires depuis que je suis gosse, même si ma première passion a été le dessin.Pascale Dietrich

Pour nous, vous maniez l’art d’écrire des polars sans avoir l’air d’y toucher. Quel est votre rapport au polar ? Comment le concevez-vous ?
J’écris des polars (et j’en lis), mais je me suis toujours sentie en décalage avec cette veine. Dans mes histoires, on est loin d’une enquête policière classique. Si j’ai besoin d’une intrigue comme ressort narratif, on pourrait presque dire que l’important est ailleurs : dans la psychologie des personnages, leur vision du monde, les dilemmes moraux qui se posent à eux, les situations cocasses dans lesquelles ils se retrouvent, etc. En outre, ma particularité, c’est d’écrire des comédies noires.

Nous vous découvrons avec Une île bien tranquille, mais avant il y avait eu quelques nouvelles, comment s’est opéré le passage du court au roman ?
J’ai toujours mené de front romans et nouvelles. J’apprécie les deux genres qui me semblent très complémentaires. La nouvelle me permet d’exploiter des idées qui ne peuvent pas faire l’objet d’un format long. Par exemple, j’ai écrit une nouvelle au sujet des mères qui ont choisi le prénom Jean-Pierre pour leur bébé. Pour une femme de ma génération, c’est totalement surréaliste de donner le sein à un Jean-Pierre ! Cette idée du mystère des « bébés-Jean-Pierre» permet de s’amuser dans un texte court, mais ça ne fait pas un roman. Du coup, j’alterne les deux styles. Ceci dit, j’ai mis du temps à publier des romans, alors que côté nouvelles, ça a été beaucoup plus vite. Quand on est un jeune auteur, le court est une excellente première marche pour débuter.Pascale Dietrich

Et comment s’est faite l’arrivée chez Liana Levi ?
J’avais déjà repéré la maison car sa ligne éditoriale laisse justement de la place à des ouvrages qui ne sont pas forcément des polars purs et durs (type Iain Levison). Quand j’ai rencontré l’équipe, j’ai senti que ça pouvait coller et je leur ai proposé “mon île”. Je suis très heureuse d’être publiée ici !

Liana Levi : « Pascale ? avec une plume légère, une imagination débordante et un humour réconfortant, elle nous entraîne dans des suspenses qui commencent comme des comédies et se terminent comme des polars. Tout en jonglant avec les codes du genre. Quoi de mieux que ce qui sort des clous ? »

Une île bien tranquille

Comment avez-vous abordé ce travail sur l’insularité ?
Ce livre, je l’ai écrit en grande partie en Bretagne, dans le Finistère Nord, où mes parents venaient de s’installer. J’ai tout de suite eu un coup de cœur pour cette région qui est loin de tout. C’est là que j’ai eu l’idée de l’île (Ouessant est d’ailleurs tout près). L’île, c’est le décor parfait pour un roman noir. On a un espace clos dont il est difficile de s’enfuir, éloigné de la société, invisible des yeux du continent. Je voulais un lieu où se retrouvent des personnes en quête de quelque chose et où il est possible de faire des expériences illégales en toute discrétion. J’avais aussi envie de travailler le changement de perspective qui se produit quand on passe d’un lieu central, comme Paris, à un lieu coupé du monde. On regarde soudain les choses différemment. Et puis, l’île est le lieu de l’imagination. Ça a un côté hors du temps, presque fantastique. Bref, je trouvais cet univers très stimulant.

Ce roman bascule insidieusement dans le noir, comment l’avez-vous construit ?
Je pars en général d’une minuscule idée et travaille l’intrigue au fil de l’écriture. Au départ, j’avais juste cette île en tête, et aussi le personnage principal, Edelweiss, qui retourne sur les lieux de son enfance et les trouve bien changés. Je me disais que j’irais forcément vers quelque chose de noir, mais je ne savais pas encore quoi. Puis, frappée par la rapidité avec laquelle la végétation poussait dans le jardin de mes parents, ça m’a donné des idées (mais je n’en dis pas plus pour ceux qui n’ont pas lu le roman).

L’île, c’est le décor parfait pour un roman noir.

Et comment écrire un polar sans flic, sans enquêtrice, bref, sans codes ?
D’une façon générale, j’ai beaucoup de mal avec les codes et les normes ! Les personnages de mes romans sont des gens ordinaires. Ce qui m’intéresse, c’est que le lecteur se sente au plus près d’eux et de leur manière de penser, aussi étrange soit-elle. Si bien qu’au bout d’un moment, même quand ils commettent les choses les plus amorales, on continue à les aimer et on trouve ce qu’ils font parfaitement naturel.

Quel a été le retour des lecteurs face à ce polar caché en littérature blanche ?
Si certains fans de polar « pur et dur » peuvent sans doute être un peu désorientés, j’ai l’impression qu’il y a aussi tout un lectorat enthousiaste. Pourvu qu’il grossisse !

Les Mafieuses

D’où vous est venue cette idée de famille ? De ces femmes ? Pour un livre dédicacé à « Ma grand-mère, ma mère et ma sœur ».
Quand j’ai commencé Les Mafieuses, je voulais continuer avec des personnages féminins (c’est le cas dans la plupart de mes histoires), et parler de la mafia sous un angle inhabituel en donnant la voix à des personnages souvent laissés au second plan. Or, les femmes ont un rôle crucial dans la mafia : ce sont elles qui épaulent les hommes, les remplacent quand ils sont en prison, elles transmettent les valeurs du système aux enfants, gèrent l’argent, etc… J’avais envie de dévoiler ce rôle invisible. Dans beaucoup de domaines, les femmes ont un rôle dans l’ombre mais ont en réalité beaucoup de pouvoir.
Un autre objectif était de parler de la famille et de ce qui change selon les générations. Les femmes de mon âge ont un rapport à la vie (professionnelle, conjugale, etc.) différent de celui de nos mères et encore plus de nos grands-mères. Ma grand-mère me raconte souvent que, « de son temps », les hommes n’osaient pas pousser une poussette dans la rue, que cela ne se faisait pas. Au-delà de la mafia, les trois femmes des Mafieuses sont assez représentatives de leurs époques respectives.Pascale Dietrich

Et ce point de départ que nous aimerions bien ne pas dévoiler aux lecteurs ?
À l’époque, je m’intéressais à la question du coma. Je voulais un personnage qui soit dans cette situation et tienne malgré tout un rôle central dans l’histoire. Puis j’ai eu une idée pour que son ombre plane sur tout le roman. Je n’en dis pas plus !

Marc Villard : « Mon premier contact avec Pascale Dietrich fut postal. Un manuscrit que j’acceptai rapidement. Le second, c’était rue de Bretagne et je cru qu’elle m’avait envoyé sa fille au pair. Elle fait très jeune, d’où ma méprise. La troisième fois, elle était enceinte mais c’était son deuxième. Pas d’inquiétude. Maintenant nous déjeunons dans un thaïlandais qui sert aussi du vin (j’ai insisté). Pour 2019, j’envisage une gargote à boudin-purée. Voilà pour le live. Concernant ses textes, j’ai été charmé par sa rapidité/simplicité à rentrer dans ses histoires, son ton vif, son écriture sautillante. Elle ne donne pas de leçons mais sait contourner les codes, comme dans Les Mafieuses. Elle est aussi chercheuse. Mais je m’en fiche, car je la considère surtout comme un écrivain.»

Comment travaillez-vous ce style alerte, plein de mordant et d’humour fin et léger ?
C’est sans doute cela qui me demande le plus de travail. J’écris, reformule, coupe, ajoute, tout ça des dizaines de fois, jusqu’à trouver le ton que me semble juste. L’humour est une mécanique compliquée. Pour que ça fonctionne, il faut rester dans la nuance tout en trouvant des idées et des images qui ne sont pas dans la suite logique de la pensée ordinaire. Il faut qu’il y ait une surprise. L’enjeu est de ne jamais en faire trop tout en allant le plus loin possible.

Dina perd foi en l’humanitaire. Vous qui travaillez sur ces sujets, quel est votre avis ?
Quand j’ai écrit Les Mafieuses, je traversais une période de désillusion. Je m’apercevais que la logique du profit et les nouvelles méthodes managériales envahissaient des domaines jusqu’alors préservés. C’est le cas du secteur de l’action envers les pauvres qui est désormais soumis à la concurrence, fonctionne par appel d’offre et répond à des impératifs financiers. Les frontières entre les secteurs lucratifs et non-lucratifs sont de plus en plus floues et le monde s’aligne sur des normes aberrantes. Dina et Alessia sont très conscientes de ça, chacune à sa façon. D’ailleurs, Alessia dit à un moment qu’elle voit mal dans quel secteur professionnel pourra s’épanouir sa sœur, qui a un sens fort de l’éthique : la seule piste qui lui vient à l’esprit, c’est gardienne de phare. À notre époque, mieux vaut sans doute ressembler à Alessia qu’à Dina. Une autre idée qui me taraudait, c’est le fait qu’on demande à l’humanitaire de réparer la casse produite par un système injuste. Bien sûr, ce serait pire sans cette aide, mais on peut aussi se dire que tout ça fait système. Je dis ça sans intention de critiquer les gens qui travaillent dans ce secteur et ont des valeurs humanistes : comme beaucoup d’entre nous, ils se retrouvent confrontés à une organisation qui les met dans des positions intenables.

Pour aller plus loin

Pascale Dietrich chez son éditrice, Liana Levi
Et chez In8 pour un recueil de nouvelles et un roman noir
Merci à Liana Levi et à Marc Villard pour leurs bons mots.