Interview avec James Grady – Condor

Condor - James Grady - Roulette russe - Les Six Jours du Condor - Rivages

La sortie en octobre 2022 de Roulette russe (Rivages) de James Grady nous a donné envie d’exhumer une interview de 2010 de l’auteur américain. Le recueil de nouvelles Roulette russe met en scène une dernière fois le personnage de Condor et cette interview portait en partie sur ce personnage emblématique de l’écrivain…

James Grady, quand on lit votre biographie, on voit des romans et des nouvelles, des scénarios pour le cinéma, la télévision, des traductions… Bref, une carrière bien remplie. D’après vous, quels en ont été les moments les plus marquants pour vous ?
La première chose a été la publication du Condor [ndlr, Les Six Jours du Condor est le premier livre de James Grady, publié alors qu’il n’a que 24 ans – il s’en explique encore dans la longue préface à Roulette russe], bien sur. La deuxième, la chance d’être journaliste, de faire des reportages d’investigation. Et peut-être la troisième, le fait de ne pas me contenter de vendre mes livres pour qu’ils soient adaptés, mais de pouvoir travailler directement avec le cinéma et la télévision… mais tout ceci est mélangé.

Condor - James Grady - Roulette russe - Les Six Jours du Condor - Rivages

Et comment abordez-vous votre métier d’écrivain aujourd’hui ?
Aujourd’hui, c’est encore plus important d’écrire de façon réaliste et d’écrire en sachant vraiment de quoi on parle, avec une vision de l’intérieur. Maintenant, avec internet il y a tellement de données qui affluent que le travail d’écrivain est d’être une lampe torche pour éclairer tout ça.

On reviendra sur cette profusion de données un peu plus tard, mais pour continuer, on ne peut pas faire abstraction des Six jours du Condor, ressorti chez Rivages en 2007 avec une excellente préface, qui remet le livre dans son contexte. Lorsqu’on relit certains livres, on les trouve “datés”, celui-ci, n’a pas pris une ride, comment l’expliquez-vous ?
C’est peut-être lié au fait que le livre ne raconte pas juste des querelles d’espion qui se tapent dessus. Je voulais écrire sur un personnage ordinaire qui se retrouve pris dans des circonstances extraordinaires. Et comme instinctivement c’est ça que je visais – c’était ma cible – c’est en ça que l’histoire devient intemporelle.

Dans cette préface, vous expliquez qu’à l’époque la CIA était encore assez secrète, il y avait juste trois livres dessus et dites “En ces temps électriques, un jeune écrivain doté d’une imagination fiévreuse n’avait pas besoin de savoir énormément de choses pour saisir une histoire au vol dans l’atmosphère ambiante.”
Aujourd’hui, avec internet, comme vous disiez, on regorge d’informations… Ça change beaucoup de choses vous trouvez ? Et comment faites-vous pour recouper les informations ?
La chose vraiment intéressant, c’est que le livre m’a permis de rencontrer de véritables espions… Et même s’il y a beaucoup d’informations, elles ont toujours un temps de retard sur la réalité. Heureusement, ma curiosité naturelle fait que j’ai un léger temps d’avance sur un peu tout, car je m’intéresse au cœur même de l’histoire, plus qu’aux données ou à la technologie, ce qui m’intéresse, ce sont les gens. C’est pourquoi je crois avoir un peu d‘avance sur ce déluge d’informations.

Condor - James Grady - Roulette russe - Les Six Jours du Condor - Rivages

Dans vos romans vu ce qu’ils endurent, les espions ne sont pas loin de sombrer dans la folie… dans Mad Dogs, c’est vraiment le cas ! Alors d’où vous est venue cette idée ?
Et oui [rires]. Il y a toujours des périodes ou l’on pense que soit on est fou, soit c’est le monde qui l’est. Lorsqu’on parle de policiers ou d’espions, effectivement, tout ce qu’ils voient dans leur travail a de quoi les rendre fous. En tant qu’auteur, je me demandais ce qu’il pourrait se passer “And What ?” et au lieu de finir une histoire sur un espion qui pourrait devenir fou, j’ai eu l’idée de la commencer à ce stade là. En fait c’est vraiment un livre qui s’est écrit tout seul. Un soir je me suis endormi chez moi, je n’avais pas encore commencé l’histoire de Mad Dogs et lorsque je me suis réveillé, j’avais trois fantômes de personnages qui étaient en train de me hurler aux oreilles en me demandant d’écrire leurs histoires. Et ce sont eux qui m’ont inspiré le livre. J’ai passé un mois à lutter contre leur influence et puis j’ai fini par craquer et écrire le livre.

À lire aussi : Interview avec James Sallis – Partie 1 : l’écriture

Mais sous ce couvert humoristique (on pense au mouvement L’Umorismo en Italie dans les années 1970), vous continuez à explorer les dérives de l’espionnage et, en particulier, les crimes commis au nom de la raison d’État.
On m’a parlé de l’influence italienne, vous savez, il y a cet excellent collectif Wu Ming. Si on ne se moque pas de soi-même, si on ne traite pas tout ça avec humour, on est condamné à ne jamais rien apprendre. Et la plupart de mes personnages doivent avoir de l’humour face à ce qu’ils vivent, sinon je ne peux pas montrer les côtés ironiques de l’histoire à mes personnages. C’est un peu comme rire en voyant quelqu’un qui glisse sur une peau de banane, c’est une tragédie, mais c’est tellement drôle [rires].

Quand Les Six Jours du Condor est sorti chez nous il y avait une préface spéciale. Quel est votre rapport avec l’édition française ?
François Guérif est un trésor culturel pour le monde entier et Rivages comprend à travers son travail (ses couvertures, traducteurs… ) que l’art n’est pas national mais global. Je pense que Rivages est une des raisons pour lesquelles j’ai tant de lecteurs et fans en France. Ce n’est pas un secret, François est mon éditeur préféré et le seul avec qui j’ai envie de travailler en France car François et toute son équipe “comprennent” [en français dans le texte]. Mon traducteur est Jean Esch, nous travaillons en étroite collaboration. Mes livres contiennent beaucoup d’argot et de termes techniques de la CIA, leur propre argot, et Jean rend ça non seulement compréhensible, mais en tire l’essence pour le lecteur. J’ai beaucoup de chances.

Propos aimablement traduits par Thomas Bauduret.

Pour aller plus loin

L’interview complète est disponible sur le site K-Libre, allez y faire un tour, vous verrez tout le côté visionnaire de James Grady au cours de son œuvre.
L’essentiel de l’œuvre de James Grady est publiée chez Rivages.

Interview avec James Grady - Condor - Milieu Hostile

Interview avec James Grady – Condor

Condor - James Grady - Roulette russe - Les Six Jours du Condor - Rivages

La sortie en octobre 2022 de Roulette russe (Rivages) de James Grady nous a donné envie d’exhumer une interview de 2010 de l’auteur américain. Le recueil de nouvelles Roulette russe met en scène une dernière fois le personnage de Condor et cette interview portait en partie sur ce personnage emblématique de l’écrivain…

James Grady, quand on lit votre biographie, on voit des romans et des nouvelles, des scénarios pour le cinéma, la télévision, des traductions… Bref, une carrière bien remplie. D’après vous, quels en ont été les moments les plus marquants pour vous ?
La première chose a été la publication du Condor [ndlr, Les Six Jours du Condor est le premier livre de James Grady, publié alors qu’il n’a que 24 ans – il s’en explique encore dans la longue préface à Roulette russe], bien sur. La deuxième, la chance d’être journaliste, de faire des reportages d’investigation. Et peut-être la troisième, le fait de ne pas me contenter de vendre mes livres pour qu’ils soient adaptés, mais de pouvoir travailler directement avec le cinéma et la télévision… mais tout ceci est mélangé.

Condor - James Grady - Roulette russe - Les Six Jours du Condor - Rivages

Et comment abordez-vous votre métier d’écrivain aujourd’hui ?
Aujourd’hui, c’est encore plus important d’écrire de façon réaliste et d’écrire en sachant vraiment de quoi on parle, avec une vision de l’intérieur. Maintenant, avec internet il y a tellement de données qui affluent que le travail d’écrivain est d’être une lampe torche pour éclairer tout ça.

On reviendra sur cette profusion de données un peu plus tard, mais pour continuer, on ne peut pas faire abstraction des Six jours du Condor, ressorti chez Rivages en 2007 avec une excellente préface, qui remet le livre dans son contexte. Lorsqu’on relit certains livres, on les trouve “datés”, celui-ci, n’a pas pris une ride, comment l’expliquez-vous ?
C’est peut-être lié au fait que le livre ne raconte pas juste des querelles d’espion qui se tapent dessus. Je voulais écrire sur un personnage ordinaire qui se retrouve pris dans des circonstances extraordinaires. Et comme instinctivement c’est ça que je visais – c’était ma cible – c’est en ça que l’histoire devient intemporelle.

Dans cette préface, vous expliquez qu’à l’époque la CIA était encore assez secrète, il y avait juste trois livres dessus et dites “En ces temps électriques, un jeune écrivain doté d’une imagination fiévreuse n’avait pas besoin de savoir énormément de choses pour saisir une histoire au vol dans l’atmosphère ambiante.”
Aujourd’hui, avec internet, comme vous disiez, on regorge d’informations… Ça change beaucoup de choses vous trouvez ? Et comment faites-vous pour recouper les informations ?
La chose vraiment intéressant, c’est que le livre m’a permis de rencontrer de véritables espions… Et même s’il y a beaucoup d’informations, elles ont toujours un temps de retard sur la réalité. Heureusement, ma curiosité naturelle fait que j’ai un léger temps d’avance sur un peu tout, car je m’intéresse au cœur même de l’histoire, plus qu’aux données ou à la technologie, ce qui m’intéresse, ce sont les gens. C’est pourquoi je crois avoir un peu d‘avance sur ce déluge d’informations.

Condor - James Grady - Roulette russe - Les Six Jours du Condor - Rivages

Dans vos romans vu ce qu’ils endurent, les espions ne sont pas loin de sombrer dans la folie… dans Mad Dogs, c’est vraiment le cas ! Alors d’où vous est venue cette idée ?
Et oui [rires]. Il y a toujours des périodes ou l’on pense que soit on est fou, soit c’est le monde qui l’est. Lorsqu’on parle de policiers ou d’espions, effectivement, tout ce qu’ils voient dans leur travail a de quoi les rendre fous. En tant qu’auteur, je me demandais ce qu’il pourrait se passer “And What ?” et au lieu de finir une histoire sur un espion qui pourrait devenir fou, j’ai eu l’idée de la commencer à ce stade là. En fait c’est vraiment un livre qui s’est écrit tout seul. Un soir je me suis endormi chez moi, je n’avais pas encore commencé l’histoire de Mad Dogs et lorsque je me suis réveillé, j’avais trois fantômes de personnages qui étaient en train de me hurler aux oreilles en me demandant d’écrire leurs histoires. Et ce sont eux qui m’ont inspiré le livre. J’ai passé un mois à lutter contre leur influence et puis j’ai fini par craquer et écrire le livre.

À lire aussi : Interview avec James Sallis – Partie 1 : l’écriture

Mais sous ce couvert humoristique (on pense au mouvement L’Umorismo en Italie dans les années 1970), vous continuez à explorer les dérives de l’espionnage et, en particulier, les crimes commis au nom de la raison d’État.
On m’a parlé de l’influence italienne, vous savez, il y a cet excellent collectif Wu Ming. Si on ne se moque pas de soi-même, si on ne traite pas tout ça avec humour, on est condamné à ne jamais rien apprendre. Et la plupart de mes personnages doivent avoir de l’humour face à ce qu’ils vivent, sinon je ne peux pas montrer les côtés ironiques de l’histoire à mes personnages. C’est un peu comme rire en voyant quelqu’un qui glisse sur une peau de banane, c’est une tragédie, mais c’est tellement drôle [rires].

Quand Les Six Jours du Condor est sorti chez nous il y avait une préface spéciale. Quel est votre rapport avec l’édition française ?
François Guérif est un trésor culturel pour le monde entier et Rivages comprend à travers son travail (ses couvertures, traducteurs… ) que l’art n’est pas national mais global. Je pense que Rivages est une des raisons pour lesquelles j’ai tant de lecteurs et fans en France. Ce n’est pas un secret, François est mon éditeur préféré et le seul avec qui j’ai envie de travailler en France car François et toute son équipe “comprennent” [en français dans le texte]. Mon traducteur est Jean Esch, nous travaillons en étroite collaboration. Mes livres contiennent beaucoup d’argot et de termes techniques de la CIA, leur propre argot, et Jean rend ça non seulement compréhensible, mais en tire l’essence pour le lecteur. J’ai beaucoup de chances.

Propos aimablement traduits par Thomas Bauduret.

Pour aller plus loin

L’interview complète est disponible sur le site K-Libre, allez y faire un tour, vous verrez tout le côté visionnaire de James Grady au cours de son œuvre.
L’essentiel de l’œuvre de James Grady est publiée chez Rivages.